L’Avortement en Pologne

 

Sommaire :

 

Article dans « le Monde »

Résumé de l’arrêt de la Cour Européenne

Arrêt

 

 

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LE MONDE | 21.03.07 |

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Pologne, mardi 20 mars, our avoir refusé un avortement thérapeutique à une femme qui est devenue quasiment aveugle après son accouchement. En novembre 2000, Alicja Tysiac, déjà ère de deux enfants, avait demandé à bénéficier d'une IVG, "de crainte que sa grossesse et son accouchement ne conduisent à une nouvelle aggravation" de sa yopie : trois ophtalmologues l'avaient mise en garde contre ce risque. Mme Tsiac a réclamé un avortement, celui-ci étant autorisé par la loi polonaise lorsqu'il existe "une menace pour la vie ou la santé de la femme".

(....) Mme Tysiac est aujourd'hui menacée de cécité, et ne peut plus prendre soin de ses enfants en raison de son handicap.

(....) Le verdict de la Cour européenne ravive un débat déjà brûlant en Pologne. La semaine prochaine, un projet d'amendement à la Constitution sera présenté en deuxième lecture à la Diète polonaise (chambre basse) pour inscrire, dans l'article 30 ou 38, la protection de la vie "dès la conception". Trois mots qui pourraient se traduire par une interdiction absolue de l'IVG.

La société polonaise reste, elle, largement partagée : à 45 % contre l'amendement, et 44 % pour, selon un sondage GFK publié le 20 mars.

Rafaële Rivais et Célia Chauffour  Article paru dans l'édition du 22.03.07

 

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COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
Communiqué du Greffier

ARRÊT DE CHAMBRE
TYSIĄC c. POLOGNE

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt de chambre1 dans l’affaire Tysiąc c. Pologne (requête no 5410/03).

Elle conclut

· par six voix contre une, à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ; et
· à l’unanimité, à la non-violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention ;

Au titre de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, elle alloue à la requérante 25 000 euros (EUR) pour dommage moral et 14 000 EUR pour frais et dépens (moins les 2 442,91 EUR déjà versés à l’intéressée par le Conseil de l’Europe dans le cadre de l’assistance judiciaire). (L’arrêt est disponible en français et en anglais.)

1.  Principaux faits

La requérante, Alicja Tysiąc, est une ressortissante polonaise née en 1971 et domiciliée à Varsovie.

Souffrant depuis des années d’une myopie sévère, l’intéressée décida de consulter plusieurs médecins lorsqu’elle découvrit en février 2000 qu’elle était enceinte pour la troisième fois ; elle craignait en effet que sa grossesse n’aggravât son problème.

Les trois ophtalmologues qu’elle consulta conclurent chacun qu’elle encourrait de sérieux risques pour sa vision si elle menait sa grossesse à terme, mais refusèrent de faire droit à sa demande d’obtention d’un certificat qui lui eût permis de bénéficier d’un avortement thérapeutique2. La requérante consulta également un médecin généraliste, qui lui délivra un certificat confirmant les risques que sa grossesse lui faisait courir du fait de ses problèmes de rétine et de ceux liés à un nouvel accouchement après deux césariennes.

En avril 2000, alors qu’elle en était à son deuxième mois de grossesse, la requérante subit un examen qui révéla que sa myopie s’était déjà aggravée (- 24 dioptries à chaque œil).

Elle fut alors invitée à se rendre le 26 avril 2000 à la clinique gynécologique et obstétricale d’un hôpital de Varsovie, en vue d’une interruption de la grossesse. Elle fut examinée par le responsable de la clinique, le docteur R.D., qui estima qu’aucune raison médicale ne justifiait un avortement thérapeutique. En conséquence, la requérante ne put avorter et donna naissance par césarienne à son troisième enfant en novembre 2000.

A la suite de l’accouchement, la vue de la requérante se détériora considérablement en raison de ce que les médecins diagnostiquèrent comme étant une hémorragie rétinienne. Un collège de médecins constata que l’état de l’intéressée requérait des soins et une assistance quotidienne et lui reconnut le statut d’invalide.

Mme Tysiąc attaqua le docteur R.D. au pénal, mais sa plainte fut classée par le procureur, qui considéra qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre la décision du médecin et la détérioration de la vision de la requérante. Le médecin ne fit par ailleurs l’objet d’aucune sanction disciplinaire.

Mme Tysiąc, qui élève ses trois enfants seule, est aujourd’hui invalide et perçoit à ce titre une pension mensuelle de l’équivalent de 140 euros. Elle ne peut voir à plus de 1,50 mètre de distance et craint d’être, à terme, atteinte de cécité.

2.  Procédure et composition de la Cour

Déposée devant la Cour européenne des Droits de l’Homme le 15 janvier 2003, la requête a été déclarée recevable à la suite d’une audience tenue en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 7 février 2006.

L’arrêt a été rendu par une chambre de 7 juges ainsi composée :

Nicolas Bratza (Britannique), président,
Giovanni Bonello (Maltais),
Matti Pellonpää (Finlandais),
Kristaq Traja (Albanais),
Lech Garlicki (Polonais),
Javier Borrego Borrego (Espagnol),
Ljiljana Mijović (ressortissante de la Bosnie-Herzégovine), juges,

et Lawrence Early, greffier de section.

3.  Résumé de l’arrêt3

Griefs

La requérante estimait qu’à l’époque pertinente elle remplissait les conditions légales pour se voir reconnaître la possibilité de procéder à un avortement thérapeutique. Elle soutenait que le fait qu’on ne l’eût pas autorisée à interrompre sa grossesse nonobstant les risques auxquels elle se trouvait exposée avait emporté violation des articles 8, 3 et 13 de la Convention. Elle se plaignait par ailleurs qu’aucun cadre procédural et réglementaire n’eût été mis en place pour permettre aux femmes concernées de revendiquer le droit à un avortement thérapeutique, privant ainsi ce droit de toute effectivité. Se fondant enfin sur l’article 14 de la Convention, elle disait avoir fait l’objet de discriminations fondées sur son sexe et son handicap.

Décision de la Cour

Article 3

Eu égard aux circonstances de la cause, la Cour estime que les faits ne révèlent aucune violation de l’article 3 et estime plus approprié d’examiner les griefs de Mme Tysiąc au regard de l’article 8.

Article 8

La Cour observe que suivant la loi de 1993 sur l’interruption de grossesse un avortement pouvait être légalement pratiqué en Pologne dans les cas où la grossesse représentait une menace pour la vie ou la santé de la femme et que dans ces conditions la Cour n’a pas à rechercher en l’espèce si la Convention garantit ou non un droit à l’avortement.

La Cour considère que l’affaire concerne le droit de Mme Tysiąc au respect de sa vie privée et rappelle qu’une législation qui réglemente l’interruption de grossesse touche à la sphère de la vie privée dans la mesure où lorsqu’une femme est enceinte sa vie privée devient étroitement associée au fœtus qui se développe.

La Cour décide d’examiner le grief du point de vue de l’obligation positive que l’article 8 fait peser sur tout Etat de garantir l’intégrité physique des futures mères.

La Cour observe que nul ne conteste que depuis 1977 Mme Tysiąc souffre de myopie sévère. La Cour souligne qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause l’appréciation clinique portée par les médecins quant à la gravité de l’état de la requérante, et estime suffisant de relever que Mme Tysiąc craignait que sa grossesse, si elle était menée à terme, n’entraînât une aggravation de sa myopie et que, compte tenu des antécédents médicaux de l’intéressée et des avis qu’elle avait obtenus de médecins, on ne peut pas considérer que ces craintes étaient irrationnelles.

Eu égard au contexte général, la Cour relève que, d’après la Fédération polonaise des femmes et du planning familial, les médecins étaient souvent dissuadés de permettre un avortement, la loi polonaise érigeant en une infraction pénale punissable de trois ans d’emprisonnement le fait d’autoriser un avortement si les conditions définies dans la loi de 1993 n’étaient pas remplies. Les médecins étaient particulièrement réticents, en l’absence de procédures transparentes et clairement définies, à se pencher sur la question de savoir si les conditions auxquelles la loi subordonnait l’avortement thérapeutique étaient ou non remplies. Le gouvernement polonais a même reconnu des déficiences dans la manière dont la loi était appliquée en pratique. Cela présent à l’esprit, la Cour considère que dès lors que le législateur décide d’autoriser l’avortement il ne doit pas l’encadrer par des règles juridiques limitant dans la réalité la possibilité d’obtenir une telle intervention. De surcroît, il doit prévoir une forme de procédure devant un organe indépendant et compétent qui, après avoir eu l’occasion d’entendre la femme enceinte en personne, puisse rendre rapidement une décision motivée. Tenant compte de la nature même des questions en jeu dans les décisions d’interruption de grossesse, la Cour estime que les procédures en place doivent être conçues pour que pareilles décisions soient prises en temps et en heure, afin de prévenir ou limiter le préjudice qui pourrait découler pour la santé de la femme d’un avortement tardif.

Eu égard à ce contexte général, la Cour a examiné comment les règles juridiques encadrant la possibilité de recourir à un avortement thérapeutique en Pologne ont été appliquées au cas de Mme Tysiąc et comment les préoccupations exprimées par l’intéressée relativement au risque possible d’un impact négatif de la grossesse sur sa santé ont été prises en compte.

La Cour relève d’abord que le gouvernement se réfère à un arrêté du ministre de la Santé du 22 janvier 1997 qui prévoyait une procédure régissant les décisions en matière d’avortement thérapeutique. Basée sur des considérations médicales, cette procédure lui paraît relativement simple et propre à permettre l’adoption rapide des mesures nécessaires. La Cour constate toutefois que l’arrêté en question ne prévoyait aucun cadre procédural particulier pour traiter et résoudre les cas de désaccord sur l’opportunité d’un avortement thérapeutique, soit entre la femme enceinte et les médecins, soit entre les médecins eux-mêmes.

La Cour relève ensuite que le gouvernement se réfère à l’article 37 de la loi de 1996 sur la profession médicale, qui autorise un médecin, en cas de doute thérapeutique ou à la demande d’un patient, à solliciter un avis auprès d’un collègue. La Cour souligne toutefois que, destinée aux seuls membres de la profession médicale, cette disposition ne donne pas au patient la garantie procédurale d’obtenir pareil avis ou de le contester en cas de désaccord. Elle n’envisage pas davantage la question plus spécifique d’une femme enceinte cherchant à bénéficier d’un avortement légal.

Aussi la Cour conclut-elle que le droit polonais appliqué en l’espèce ne comportait aucun mécanisme effectif permettant d’établir si les conditions permettant un avortement thérapeutique étaient ou non remplies. Cela a engendré pour Mme Tysiąc une situation d’incertitude prolongée en conséquence de laquelle l’intéressée a subi une détresse et une angoisse importantes quant aux possibles conséquences négatives sur sa santé de la grossesse et de l’accouchement qui se rapprochait.

La Cour estime que les dispositions du droit civil polonais en matière de quasi-délits ne donnaient pas à Mme Tysiąc la possibilité de faire valoir son droit au respect de sa vie privée. Dotées d’un effet rétroactif, ces dispositions auraient seulement pu déboucher sur une décision des tribunaux accordant une indemnité à l’intéressée. De même, la procédure pénale intentée contre le docteur R.D. n’aurait pu empêcher la réalisation du dommage causé à la santé de la requérante. Aussi la Cour conclut-elle qu’à elles seules les mesures rétroactives ne fournissaient pas une protection adéquate pour l’intégrité physique des personnes se trouvant dans une position vulnérable comme Mme Tysiąc.

Eu égard aux circonstances de l’affaire considérées dans leur ensemble, la Cour conclut que, dans le contexte d’une controverse portant sur le droit à un avortement thérapeutique, l’Etat polonais est resté en défaut de sauvegarder le droit de Mme Tysiąc au respect de sa vie privée et qu’il y a donc eu violation de l’article 8.

Article 13
Observant que le grief formulé par Mme Tysiąc au regard de cet article rejoint en substance les questions examinées dans le cadre de l’article 8, la Cour juge qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13.

Article 14 combiné avec l’article 8
Eu égard aux motifs qui l’ont amenée à conclure à la violation de l’article 8, la Cour estime ne pas avoir à examiner séparément les griefs formulés par la requérante sur le terrain de l’article 14.

A l’arrêt se trouve joint l’exposé de l’opinion séparée du juge Bonello et de l’opinion dissidente du juge Borrego Borrego.

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Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Contacts pour la presse
Emma Hellyer (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 42 15)
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La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950.

1 .  L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. 2 .  L’avortement est interdit en Pologne, sauf dans certaines conditions définies par la loi de 1993 sur le planning familial, la protection du fœtus humain et les conditions autorisant l’interruption de la grossesse (lorsque la grossesse met en danger la vie ou la santé de la mère ; lorsque les examens prénataux révèlent un risque élevé que le fœtus soit atteint d’une malformation grave et irréversible ou d’une maladie grave et incurable ; lorsqu’il y a de bonnes raisons de croire que la grossesse est le résultat d’un acte criminel). 3 .  Rédigé par le greffe, ce résumé n’engage pas la Cour

 

 

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QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE TYSIĄC c. POLOGNE

(Requête no 5410/03)

ARRÊT

STRASBOURG

20 mars 2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l'affaire Tysiąc c. Pologne,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Sir Nicolas Bratza, président, 
 MM. G. Bonello, 
  M. Pellonpää, 
  K. Traja, 
  L. Garlicki, 
  J. Borrego Borrego, 
 Mme L. Mijović, juges, 
et de M. T.L. Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 février 2007,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 5410/03) dirigée contre la République de Pologne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Alicja Tysiąc (« la requérante »), a saisi la Cour le 15 janvier 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante, qui a été admise au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représentée par Mmes M. Gąsiorowska et A. Wilkowska-Landowska, avocates respectivement à Varsovie et Sopot, assistées de Mmes A. Coomber et V. Vandova de l'organisation Interights, de Londres. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. J. Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante alléguait que les circonstances de l'affaire avaient emporté violation de l'article 8 de la Convention, et invoquait aussi l'article 3 de la Convention. Elle se plaignait en outre de n'avoir pas disposé d'un recours effectif, au mépris de l'article 13. Enfin, sur le terrain de l'article 14, elle soutenait avoir subi une discrimination dans l'exercice de ses droits garantis par l'article 8.

4.  Par une décision du 7 février 2006, la Cour a déclaré la requête recevable après une audience qui a porté à la fois sur la recevabilité et le fond (article 54 § 3 du règlement). Elle a décidé de joindre au fond l'exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

5.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement). Les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l'autre. Des observations ont également été reçues du Center for Reproductive Rights, une association de New York, de la fédération polonaise des femmes et du planning familial ainsi que de la branche polonaise de la fondation Helsinki pour les droits de l'homme de Varsovie, du forum des femmes polonaises de Gdańsk et de l'association des familles catholiques de Cracovie, que le Président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).

6.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 7 février 2006 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement 
M. J. Wołąsiewicz, ministère des Affaires étrangères, agent
Mme A. Gręziak, sous-secrétaire d'Etat, 
  ministère de la Santé, 
MM. J. Szaflik, 
 B. Chazan,  
 K. Wiak,  
Mme K. Bralczykconseillers ;

–  pour la requérante 
Mmes M. Gąsiorowska,  
 A. Wilkowska-Landowskaconseils, 
 V. Vandova
 A. Coomberconseillères.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Gręziak, M. Wołąsiewicz, Mme Wilkowska-Landowska, Mme Gąsiorowska, M. Chazan et M. Szaflik.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7.  La requérante est née en 1971 et réside à Varsovie.

8.  Elle souffre depuis 1977 d'une forte myopie, évaluée à -0,2 à l'œil gauche et -0,8 à l'œil droit. Avant sa grossesse, un collège de médecins de la sécurité sociale avait conclu qu'elle était atteinte d'une invalidité de gravité moyenne.

9.  La requérante se trouva enceinte en février 2000. Elle avait déjà eu deux enfants, tous deux nés par césarienne. Comme elle s'inquiétait des conséquences que l'accouchement pourrait avoir sur sa santé, elle décida de consulter ses médecins. Trois ophtalmologues (les docteurs M.S., N. S.-B. et K.W.) l'examinèrent. Il ressort des documents soumis par l'intéressée que le docteur M.S. recommandait que celle-ci subisse de fréquents contrôles de santé et évite l'exercice physique. Pour le docteur N. S.-B., la requérante devait envisager de se faire stériliser après la naissance du bébé, et les trois médecins concluaient qu'en raison de changements pathologiques survenus à la rétine de la requérante, la grossesse et l'accouchement entraînaient des risques pour sa vue. Ils refusèrent cependant d'émettre un certificat en vue d'une interruption de grossesse, en dépit des demandes de l'intéressée, au motif qu'il existait un risque, mais pas de certitude, que la rétine se décolle à cause de la grossesse.

10.  Par la suite, la requérante sollicita l'avis d'autres médecins. Le 20 avril 2000, le docteur O. R. G., médecin généraliste, émit un certificat indiquant que la troisième grossesse constituait une menace pour la santé de la requérante en raison d'un risque de rupture de l'utérus consécutif aux deux précédents accouchements par césarienne. Cette thérapeute mentionnait également la myopie de l'intéressée ainsi que d'importantes modifications pathologiques de la rétine. Selon elle, tout cela imposait que la requérante évite les efforts physiques, consigne qui serait en tout état de cause extrêmement difficile à respecter étant donné qu'à l'époque, celle-ci élevait seule deux enfants en bas âge. La requérante comprit que ce certificat lui permettrait de se faire avorter légalement.

11.  Le 14 avril 2000, au cours du deuxième mois de grossesse, la requérante subit un examen des yeux. Il fut établi qu'elle avait besoin de lunettes corrigeant sa vue de 24 dioptries aux deux yeux.

12.  Par la suite, la requérante prit contact avec un hôpital public, la clinique de gynécologie et d'obstétrique de Varsovie, dont elle dépendait géographiquement, en vue de se faire avorter. Le 26 avril 2000, elle se rendit à un rendez-vous avec le docteur R.D., chef du service de gynécologie et d'obstétrique de la clinique.

13.  Ce dernier examina la requérante de visu pendant moins de cinq minutes et ne consulta pas son dossier ophtalmologique. Après cela, il nota au verso du certificat émis par le docteur O. R. G. que ni la myopie ni les deux césariennes de la requérante ne constituaient des motifs d'avortement thérapeutique. Il estimait que, dans ces conditions, la requérante devait accoucher par césarienne. Pendant que la requérante était dans son cabinet, le docteur R.D. consulta une endocrinologue, le docteur B., avec qui il s'entretint à voix basse devant la requérante. L'endocrinologue contresigna la note du docteur R.D. sans avoir adressé la parole à la requérante.

14.  L'examen de la requérante eut lieu dans une pièce qui donnait sur un couloir, la porte ouverte, ce qui, d'après la requérante, ne créait pas un climat favorable à un examen médical. A la fin du rendez-vous, le docteur R.D. déclara à la requérante qu'elle pourrait même avoir huit enfants si elle accouchait par césarienne.

15.  En conséquence, la requérante ne put bénéficier d'une interruption de grossesse. Elle accoucha par césarienne en novembre 2000.

16.  Après la naissance, sa vue se détériora considérablement. Le 2 janvier 2001, six semaines environ après l'accouchement, elle fut emmenée au service d'urgence de la clinique ophtalmologique de Varsovie. Lors d'un test qui consistait à compter les doigts, elle ne put voir qu'à une distance de trois mètres avec son œil gauche et de cinq mètres avec son œil droit, alors qu'avant sa grossesse, elle pouvait distinguer des objets à une distance de six mètres. On diagnostiqua une occlusion vasculaire en résorption à l'œil droit et une aggravation de la dégénérescence de la macula à l'œil gauche.

17.  D'après un certificat médical émis le 14 mars 2001 par le docteur M.S., ophtalmologue, la détérioration de la vue de la requérante provenait de ses récentes hémorragies de la rétine. La requérante risque en conséquence de devenir aveugle. Lors de l'examen, le docteur M.S. lui suggéra d'apprendre le braille. Cette thérapeute informa aussi la requérante que, comme les modifications de sa rétine étaient très avancées, il n'y avait aucune possibilité de les corriger par une intervention chirurgicale.

18.  Le 13 septembre 2001, le collège statuant en matière d'invalidité déclara que la requérante était atteinte d'une invalidité importante alors qu'auparavant, son invalidité avait été qualifiée de moyennement grave. Il estima de plus qu'elle avait besoin de soins constants et d'une aide pour ses tâches quotidiennes.

19.  Le 29 mars 2001, la requérante déposa une plainte pénale contre le docteur R.D. en alléguant que celui-ci l'avait empêchée d'obtenir, comme le recommandait le médecin généraliste, un avortement thérapeutique au titre de l'une des exceptions prévues à l'interdiction de l'avortement. Elle se plaignait d'une atteinte à son intégrité physique du fait qu'elle avait presque complètement perdu la vue à la suite de sa grossesse et de son accouchement. Elle invoquait l'article 156 § 1 du code pénal, qui punit cette infraction, et indiquait aussi qu'en vertu de la législation en vigueur en matière de sécurité sociale, elle n'avait pas droit à une pension d'invalidité car elle n'avait pas travaillé le nombre requis d'années avant l'apparition de son invalidité puisqu'elle élevait ses enfants.

20.  L'enquête sur la plainte fut menée par le procureur du district de Varsovie-Śródmieście. Celui-ci recueillit la déposition des ophtalmologues qui avaient examiné la requérante pendant sa grossesse, lesquels déclarèrent que l'accouchement par césarienne aurait pu bien se passer.

21.  Le procureur commanda en outre une expertise à un collège de trois médecins experts (un ophtalmologue, un gynécologue et un spécialiste de médecine légale) de l'académie de médecine de Białystok. Selon le rapport qui en résulta, les grossesses et accouchements n'avaient pas eu d'effet sur la détérioration de la vue de la requérante. Eu égard à la gravité de la déficience visuelle de la requérante, le risque de décollement de rétine avait toujours existé et continuait d'être présent ; la grossesse et l'accouchement n'avaient pas augmenté ce risque. De plus, les experts conclurent que rien ne s'était opposé à ce que la requérante mène sa grossesse à son terme et mette son bébé au monde.

22.  Lors de l'enquête, ni le docteur R.D. ni le docteur B., qui avaient tous deux signé le certificat du 26 avril 2000, ne furent interrogés.

23.  Le 31 décembre 2001, le procureur classa l'affaire sans suite au motif qu'il n'y avait aucune raison de poursuivre le docteur R.D. S'appuyant sur l'expertise, il conclut qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre les actions de ce médecin et la détérioration de la vue de la requérante. Il observa que cette aggravation « n'avait été provoquée ni par les actions du gynécologue ni par une quelconque autre intervention humaine ».

24.  La requérante fit appel de cette décision devant le procureur régional de Varsovie. Elle contestait le rapport établi par les experts de l'académie de médecine de Białystok, alléguant notamment qu'elle n'avait en réalité été examinée que par l'un de ces experts, à savoir l'ophtalmologue, alors que le rapport était signé de la totalité d'entre eux. De plus, aucun des équipements spécialisés d'ophtalmologie qui servaient habituellement à contrôler la vue n'avaient été utilisés lors de l'examen, qui n'avait duré que dix minutes. Les deux autres experts signataires du rapport, dont un gynécologue, ne l'avaient pas du tout examinée.

25.  Elle signalait en outre certaines incohérences dans le rapport et indiquait qu'avant ses deuxième et troisième accouchements, les médecins avaient recommandé une stérilisation pendant la césarienne afin de prévenir toute autre grossesse. Elle faisait valoir que, si la détérioration de sa vue était due à son état de santé, il lui semblait que ce processus s'était accéléré lors de sa troisième grossesse, et soutenait qu'il y avait un lien de causalité entre le refus d'un avortement et la dégradation de sa vue. Elle se plaignait aussi que les autorités de poursuite n'aient accordé aucune considération au certificat émis par son médecin généraliste.

26.  Elle indiquait qu'elle n'avait pu prendre connaissance du dossier car les résumés des dépositions des témoins et d'autres documents étaient écrits de manière illisible. Le procureur avait refusé à plusieurs reprises de prêter son concours pour la lecture du dossier, alors même qu'il savait qu'elle souffrait d'une très forte myopie. Elle n'avait donc pas pu lire les documents versés au dossier, ce qui avait nui à sa capacité à exercer ses droits procéduraux au cours de l'enquête.

27.  Le 21 mars 2002, le procureur régional de Varsovie confirma dans une décision d'un paragraphe la décision du procureur de district, considérant que les conclusions de ce dernier étaient fondées sur le rapport d'expertise. Il réfuta l'argument de la requérante selon lequel elle n'avait pas été examinée par les trois experts en indiquant que les deux autres experts ayant signé le rapport s'étaient appuyés sur une étude de son dossier médical. Il ne traita pas la question procédurale soulevée par la requérante dans son recours.

28.  Par la suite, la décision de classement fut transmise au tribunal de district de Varsovie-Śródmieście pour contrôle juridictionnel.

29.  Par une décision définitive du 2 août 2002, insusceptible de recours et longue de vingt-trois lignes, le tribunal de district confirma la décision de classement. Eu égard au rapport de l'expertise médicale, le tribunal estima que le refus d'autoriser une interruption de grossesse n'avait eu aucune incidence sur la détérioration de la vue de la requérante. De plus, il constata qu'il était de toute façon probable que la requérante ait une l'hémorragie oculaire eu égard à la nature et à la gravité de son état. Le tribunal ne traita pas du grief procédural soulevé par la requérante dans son recours contre la décision du procureur de district.

30.  La requérante tenta également d'engager une procédure disciplinaire contre les docteurs R.D. et B. Il fut toutefois définitivement mis un terme à cette procédure le 19 juin 2002, les autorités compétentes de l'ordre des médecins ayant estimé qu'il n'y avait eu aucune négligence professionnelle.

31.  A l'heure actuelle, la requérante ne peut distinguer des objets à plus de 1,50 mètre environ et craint de devenir aveugle. Le 11 janvier 2001, le centre de sécurité sociale émit un certificat attestant qu'elle n'était pas en mesure de s'occuper de ses enfants car elle ne voyait pas au-delà de 1,50 mètre. Le 28 mai 2001, un collège de médecins rendit une décision certifiant qu'elle souffrait d'une infirmité importante. La requérante est sans emploi et perçoit une pension d'invalidité mensuelle de 560 zlotys polonais (PLN). Elle élève seule ses trois enfants.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La Constitution

32.  L'article 38 de la Constitution est ainsi rédigé :

« La République de Pologne protège par la loi la vie de tout être humain. »

33.  L'article 47 de la Constitution est libellé en ces termes :

« Chacun jouit du droit de voir protéger par la loi sa vie privée et familiale, son honneur et sa réputation, et de prendre des décisions concernant sa vie personnelle. »

B.  La loi de 1993 sur le planning familial (protection du fœtus humain et conditions dans lesquelles l'interruption de grossesse est autorisée) et dispositions connexes

34.  La loi sur le planning familial (protection du fœtus humain et conditions dans lesquelles l'interruption de grossesse est autorisée), toujours en vigueur, a été adoptée par le Parlement en 1993. Son article 1 disposait à l'époque que « tout être humain jouit du droit à la vie depuis la conception ».

35.  Cette loi prévoit que l'avortement n'est légal que jusqu'à la douzième semaine de grossesse lorsque celle-ci met en danger la vie ou la santé de la mère ou lorsque des tests prénatals ou d'autres résultats médicaux montrent qu'il existe un risque élevé que le fœtus soit atteint d'une malformation grave et irréversible ou d'une maladie incurable qui menace sa vie, ou encore lorsqu'il existe de sérieuses raisons de croire que la grossesse résulte d'un viol ou d'un inceste.

36.  Le 4 janvier 1997 entra en vigueur la version de la loi de 1993 telle qu'amendée le 30 juin 1996. L'article 1 § 2 dispose désormais que « le droit à la vie, y compris au stade prénatal, est protégé dans la mesure fixée par la loi ». Cet amendement prévoit que la grossesse peut également être interrompue au cours des douze premières semaines lorsque la mère connaît des difficultés matérielles ou se trouve dans une situation personnelle difficile.

37.  En décembre 1997, de nouveaux amendements furent apportés au texte de la loi de 1993 à la suite d'un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle en mai 1997, où celle-ci déclarait que la disposition légalisant l'avortement en cas de difficultés matérielles ou personnelles était incompatible avec la Constitution telle qu'elle était rédigée à l'époque1.

38.  L'article 4a de la loi de 1993, dans sa version actuellement en vigueur, dispose dans ses passages pertinents :

« 1.  Seul un médecin peut pratiquer un avortement, et ce lorsque :

1) la grossesse met en danger la vie ou la santé de la mère ;

2) des tests prénatals ou d'autres résultats médicaux montrent qu'il existe un risque élevé que le fœtus soit atteint d'une malformation grave et irréversible ou d'une maladie incurable qui menace sa vie ;

3) il existe de sérieuses raisons de croire que la grossesse résulte d'un acte criminel.

2.  Dans les cas énumérés en 2) ci-dessus, l'avortement peut être pratiqué jusqu'au moment où le fœtus est capable de survivre en dehors du corps de la mère et, dans les cas cités en 3) ci-dessus, jusqu'à la fin de la douzième semaine de grossesse.

3.  Dans les cas cités en 1) et 2) ci-dessus, l'avortement est pratiqué par un médecin en milieu hospitalier.

(...)

5.  Les circonstances dans lesquelles l'avortement est autorisé au titre du paragraphe 1, alinéas 1) et 2) ci-dessus, doivent faire l'objet d'un certificat émis par un médecin autre que celui qui doit effectuer l'avortement, sauf si la grossesse fait peser une menace directe sur la vie de la femme. »

39.  Une ordonnance du ministre de la Santé du 22 janvier 1997 portant sur les qualifications des médecins autorisés à pratiquer des avortements renferme deux dispositions matérielles. Elle énonce en son article 1 les qualifications exigées des médecins habilités à effectuer des avortements légaux dans les conditions indiquées dans la loi de 1993. Elle dispose en son article 2 :

« Les circonstances indiquant que la grossesse constitue une menace pour la vie ou la santé de la femme doivent être attestées par un médecin spécialisé dans la branche de la médecine dont relève le problème de santé qui touche cette femme. »

40.  L'article 37 de la loi de 1996 sur les professions médicales précise qu'en cas de doute thérapeutique ou quant au diagnostic, un médecin peut de sa propre initiative ou à la demande de la patiente, et s'il le juge raisonnable au vu des exigences de la science médicale, solliciter l'avis d'un spécialiste ou organiser une consultation avec d'autres médecins.

C.  Avortement effectué dans des conditions non autorisées par la loi de 1993

41.  Procéder à une interruption de grossesse sans respecter les conditions exposées dans la loi de 1993 constitue une infraction pénale réprimée par l'article 152 § 1 du code pénal. Quiconque pratique un avortement en violation de la loi ou prête son concours à un tel acte est passible d'une peine d'emprisonnement de trois ans au maximum. La femme enceinte n'encourt elle-même aucune responsabilité pénale en cas d'avortement effectué au mépris de la loi de 1993.

D.  Dispositions du code de procédure pénale

42.  Toute personne faisant l'objet d'une accusation en matière pénale peut, si elle n'a pas les moyens de rémunérer un avocat, solliciter l'assistance judiciaire au titre de l'article 78 § 1 du code de procédure pénale. De même, en vertu des articles 87 § 1 et 88 § 1 dudit code, toute personne qui se prétend victime d'une infraction pénale est habilitée à demander à être admise au bénéfice de l'assistance judiciaire en vue de se faire représenter pendant l'enquête et la procédure pénales.

E.  Atteinte à l'intégrité physique

43.  L'article 156 § 1 du code pénal de 1997 dispose qu'une personne qui a porté atteinte à l'intégrité physique d'autrui est passible d'une peine d'emprisonnement de un à dix ans.

F.  Responsabilité délictuelle

44.  Les articles 415 et suivants du code civil polonais, qui traitent de la responsabilité délictuelle, prévoient que quiconque provoque par sa faute un dommage à autrui est tenu de redresser ce dommage.

45.  En vertu de l'article 444 du code civil, quiconque cause un préjudice corporel ou une atteinte à la santé est tenu de réparer la totalité du dommage matériel qui en découle.

G.  Jurisprudence des tribunaux polonais

46.  Par un arrêt du 21 novembre 2003 (V CK 167/03), la Cour suprême a dit qu'un refus illégal d'interrompre une grossesse résultant d'un viol, c'est-à-dire dans des circonstances prévues par l'article 4a § 1 al. 3 de la loi de 1993, pouvait donner lieu à une demande de réparation du dommage matériel subi en conséquence de ce refus.

47.  Par un arrêt du 13 octobre 2005 (IV CJ 161/05), la Cour suprême a exprimé l'avis qu'un refus de procéder à des tests prénatals dans des circonstances où l'on pouvait raisonnablement supposer que la femme enceinte risquait de donner le jour à un enfant atteint d'une malformation grave et irréversible, à savoir dans des circonstances prévues par l'article 4a § 1 al. 2 de la loi de 1993, donnait lieu à une demande en réparation.

III.  TEXTES PERTINENTS EN DEHORS DE LA CONVENTION

A.  Observations du Comité des droits de l'homme de l'ONU

48.  Après avoir examiné en 1999 le quatrième rapport périodique soumis par la Pologne quant au respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité a adopté les conclusions suivantes (Document CCPR/C/SR.1779) :

« 11. Le Comité relève avec préoccupation : a) la rigueur des lois sur l'avortement, qui se traduit par un nombre élevé d'avortements clandestins, avec les risques qui en découlent pour la vie et la santé des femmes ; b) le fait que les femmes n'ont qu'un accès limité aux contraceptifs, en raison de leurs prix élevés et de la difficulté d'obtenir la prescription voulue ; c) la disparition de l'éducation sexuelle dans les programmes scolaires ; et d) l'insuffisance des programmes publics de planification de la famille (art. 3, 6, 9 et 26).

L'Etat partie devrait mettre en place des politiques et des programmes favorisant le plein accès à toutes les méthodes de planification de la famille et réintroduire l'éducation sexuelle dans l'enseignement public. »

49.  Le Gouvernement polonais, dans son cinquième rapport périodique soumis au Comité (CCPR/C/POL/2004/5), a déclaré :

« 106.  En Pologne, les données relatives à l'avortement se limitent aux avortements pratiqués en hôpital, c'est-à-dire aux avortements légalement autorisés. Le nombre d'avortements indiqués dans les statistiques officielles actuelles est faible par rapport à celui des années précédentes. Les organisations non gouvernementales estiment quant à elles à entre 80 000 et 200 000 le nombre d'avortements pratiqués illégalement chaque année en Pologne.

107.  Il ressort des rapports annuels du gouvernement sur l'application de la loi [de 1993] [que le Gouvernement est obligé de soumettre au Parlement] et des rapports des organisations non gouvernementales que les dispositions de la loi ne sont pas pleinement appliquées et que certaines femmes, bien qu'elles répondent aux critères d'admissibilité de l'avortement, n'en bénéficient pas. D'une part, certains médecins des services de santé publique, invoquant la « clause de conscience », refusent de pratiquer l'avortement ; d'autre part, certaines femmes qui auraient droit à un avortement légal ne sont pas informées de la procédure à suivre. Il arrive que des femmes, auxquelles il est demandé de fournir des certificats additionnels, soient amenées à retarder l'intervention jusqu'au moment où l'avortement devient dangereux pour leur santé. Il n'y a pas de statistiques officielles concernant les plaintes liées au refus des médecins de pratiquer l'avortement. (...) De l'avis du gouvernement, il est indispensable d'appliquer effectivement les dispositions déjà en vigueur en ce qui concerne (...) la réalisation des avortements. »2

50.  Le Comité, après avoir examiné le cinquième rapport périodique de la Pologne au cours de ses réunions des 27 et 28 octobre et 4 novembre 2004, a adopté dans ses observations finales (Document CCPR/C/SR.2251) les remarques pertinentes ci-dessous :

« 8. Le Comité réitère sa profonde préoccupation devant la législation restrictive qui existe en Pologne en matière d'avortement et risque d'inciter les femmes à recourir à des avortements peu sûrs, illégaux, avec les risques qui en découlent pour leur vie et leur santé. Il est aussi préoccupé par l'impossibilité pratique de recourir à l'avortement même lorsque la législation l'autorise, par exemple en cas de grossesse faisant suite à un viol, et par l'absence d'information sur les cas où les médecins qui refusent de pratiquer des avortements légaux font valoir la clause d'objection de conscience. Le Comité regrette l'absence d'information sur l'étendue des avortements illégaux et leurs conséquences pour les intéressées.

L'Etat partie devrait libéraliser sa législation et sa pratique en matière d'avortement. Il devrait donner un complément d'information sur l'utilisation de la clause d'objection de conscience par les médecins et, dans la mesure du possible, sur le nombre d'avortements illégaux pratiqués dans le pays. Ces recommandations devraient être prises en compte lorsque le Parlement sera saisi du projet de loi sur la sensibilisation parentale. »

B.  Observations d'organisations non gouvernementales

51.  Dans un rapport préparé par le réseau ASTRA sur la santé et les droits dans le domaine de la reproduction en Europe centrale et orientale à l'intention du Forum sur la population en Europe, qui s'est réuni à Genève du 12 au 14 janvier 2004, il est dit que :

« [l]a loi anti-avortement en vigueur en Pologne depuis 1993 a entraîné de nombreuses conséquences négatives sur la santé des femmes dans le domaine de la reproduction, par exemple :

de nombreuses femmes qui ont droit à un avortement légal se voient souvent refuser ce droit dans leur hôpital de secteur,

les avortements pour des motifs sociaux ne sont pas stoppés mais simplement repoussés dans la clandestinité, car les femmes qui veulent un avortement peuvent trouver un médecin qui le pratiquera illégalement ou se rendre à l'étranger,

les effets de la loi se font principalement sentir sur les femmes les plus pauvres et les moins éduquées car les avortements clandestins sont onéreux.

Le manque de connaissances au sujet de la planification de la famille abaisse la qualité de vie des femmes. Leur sexualité est mise en danger soit par la crainte permanente d'une grossesse non désirée soit par la recherche d'un avortement peu sûr. Les femmes qui choisissent d'avorter en profitant des rares cas de figure où cela reste autorisé font l'objet d'une réprobation et d'une obstruction très fortes. Les médecins et hôpitaux dirigent ou informent fréquemment mal les femmes qui ont légalement droit à un avortement, ce qui fait peser de graves risques sur leur santé. Il arrive souvent que des médecins (voire des hôpitaux entiers, bien qu'ils n'aient pas le droit d'agir ainsi) refusent de pratiquer des avortements dans les hôpitaux où ils travaillent en invoquant la « clause de conscience » – c'est-à-dire le droit de refuser de pratiquer un avortement en raison de croyances religieuses ou d'objections morales – ou même sans donner la moindre justification, créant ainsi des problèmes jusqu'à ce qu'il devienne impossible de pratiquer un avortement légalement. Il existe toutefois un système bien organisé d'avortement clandestin – les avortements sont effectués illégalement dans des cliniques privées, très souvent par les médecins mêmes qui ont refusé l'avortement à l'hôpital. Le coût moyen d'un avortement est de 2000 PLN environ (l'équivalent du salaire brut moyen en Pologne). La fédération des femmes et du planning familial estime que le nombre réel d'avortements en Pologne est de 80 000 à 200 000 par an. »

C.  Rapport de synthèse du réseau d'experts indépendants de l'Union européenne en matière de droits fondamentaux

52.  Dans son rapport de synthèse intitulé « conclusions et recommandations sur la situation des droits fondamentaux dans l'Union européenne et ses Etats membres en 2004 », daté du 15 avril 2005, le réseau a notamment déclaré :

« Tout en reconnaissant qu'il n'existe à ce jour aucune jurisprudence arrêtée en droit international ou européen relatif aux droits de l'homme indiquant un quelconque point d'équilibre entre, d'une part, le droit de la femme à interrompre sa grossesse, expression particulière du droit général à l'autonomie de la personne sous-jacent au droit au respect de la vie privée, et, d'autre part, la protection de la potentialité de la vie humaine, le Réseau s'inquiète néanmoins d'un certain nombre de situations qui, aux yeux des experts indépendants, sont discutables dans l'état actuel du droit international des droits de l'homme.

Une femme souhaitant avorter ne devrait pas être contrainte à se rendre à l'étranger pour le faire, en raison du manque de structures disponibles dans son pays de résidence même s'il était légal pour elle de subir un avortement, ou parce que, bien que légal lorsque pratiqué à l'étranger, un avortement dans des circonstances identiques est interdit dans le pays de résidence. Cela peut être source de discrimination entre les femmes qui peuvent se rendre à l'étranger et celles qui, en raison d'un handicap, de leur état de santé, du manque de ressources, de leur situation administrative, voire du manque d'informations adéquates (...), ne peuvent pas le faire. Une femme ne devrait pas avorter en raison de l'insuffisance de structures d'aide, par exemple dans le cas des jeunes mères, en raison du manque d'informations concernant les aides qui devraient être disponibles, ou par crainte que cela puisse conduire à la perte d'un emploi : cela exige, à tout le moins, un contrôle rigoureux des particularités des avortements pratiqués dans les juridictions où l'avortement est légal, afin d'identifier les besoins des personnes ayant recours à l'avortement et les circonstances qui devraient être créées afin de mieux répondre à ces besoins. (...) Renvoyant aux Observations finales adoptées le 5 novembre 2004 par le Comité des droits de l'homme à l'examen du rapport présenté par la Pologne conformément au Pacte international [relatif aux] droits civils et politiques (CCPR/CO/82/POL/Rev. 1, para. 8), le Réseau remarque qu'une interdiction de l'avortement non thérapeutique ou l'impossibilité matérielle de l'avortement peut en réalité avoir pour effet d'élever le nombre d'avortements clandestins qui sont pratiqués, car les femmes concernées peuvent être tentées d'avoir recours à l'avortement clandestin en l'absence de services d'aide adéquats pour les informer des différentes alternatives s'offrant à elles. (...)

Lorsqu'un État choisit d'interdire l'avortement, il devrait au moins suivre attentivement l'incidence de cette prohibition sur la pratique de l'avortement, et communiquer ces informations afin d'alimenter un débat public éclairé. Enfin, dans les circonstances où l'avortement est légal, les femmes devraient avoir accès à des services d'avortement sans discrimination aucune. »

EN DROIT

I.  SUR L'EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

53.  Aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes.

54.  A cet égard, le Gouvernement avance que la requérante n'a pas épuisé tous les recours disponibles en droit polonais ainsi que l'exige l'article 35 § 1 de la Convention.

55.  Il invoque la jurisprudence de la Cour selon laquelle la Convention énonce certaines obligations positives qui impliquent la mise en place par l'Etat d'un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux l'adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades. Ces obligations impliquent également l'instauration d'un système judiciaire efficace et indépendant permettant d'établir la cause du décès d'un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé et d'obliger ceux-ci à répondre de leurs actes (Powell c. Royaume-Uni (déc.), no 45305/99, CEDH 2000-V). Cette dernière obligation positive n'exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale. Dans le contexte spécifique des négligences médicales, pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d'établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d'obtenir l'application de toute sanction civile appropriée, tels le versement de dommages-intérêts (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002-I).

56.  Le Gouvernement déclare de plus que le système juridique polonais comporte des voies légales qui permettent d'établir la responsabilité des médecins pour tout préjudice dû à une faute professionnelle, que ce soit par le biais d'une procédure pénale ou de demandes civiles en indemnisation. Dans le cas de la requérante, une demande de dommages et intérêts aurait eu de bonnes chances d'aboutir.

57.  Le Gouvernement renvoie à cet égard aux dispositions du code civil relatives à la responsabilité délictuelle. Il cite aussi deux arrêts rendus par les juridictions civiles dans le contexte de la loi de 1993. Dans le premier, rendu par la Cour suprême le 21 novembre 2003, cette juridiction a dit que le refus illégal d'interrompre une grossesse résultant d'un viol habilitait à réclamer une indemnisation. Dans le second, le tribunal régional de Łomża a rejeté le 6 mai 2004 une demande de réparation du dommage moral émanant de parents qui s'étaient vu refuser un examen prénatal et dont l'enfant était né avec de graves malformations.

58.  La requérante soutient que, d'après la jurisprudence de la Cour, elle ne saurait être tenue de se prévaloir à la fois de recours qui existent au civil et au pénal quant à la violation alléguée de l'article 8 de la Convention. Lorsqu'il existe plus d'un recours, le requérant n'a pas besoin d'utiliser plus d'un d'entre eux (Yağcı et Sargın c. Turquie, arrêt du 8 juin 1995, série A no 319-A, §§ 42-44). Elle cite un autre arrêt où la Cour a considéré qu'ayant épuisé toutes les possibilités que leur ouvrait le système de la justice pénale, les requérants n'étaient pas obligés, en l'absence d'une enquête officielle au sujet de leurs doléances, d'essayer une nouvelle fois d'obtenir réparation en engageant au civil une action en dommages-intérêts (Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, § 86).

59.  La requérante plaide qu'intenter une action au civil ne saurait dans son cas être un recours effectif. En effet, aucune juridiction polonaise n'a à ce jour rendu de jugement définitif octroyant des dommages et intérêts pour un problème de santé dû à un refus d'autoriser un avortement thérapeutique au titre de la loi de 1993. Elle souligne que les deux affaires citées par le Gouvernement sont postérieures à la requête qu'elle a soumise à la Cour en vertu de l'article 34 de la Convention. Surtout, elles ne sont pas pertinentes car elles concernent des situations totalement différentes de la sienne, tant en fait qu'en droit. L'une se rapporte à une demande d'indemnisation à la suite d'un refus illégal d'autoriser un avortement alors que la grossesse résultait d'un viol, et la seconde traite d'une demande de dommages et intérêts à la suite du refus d'effectuer un examen prénatal.

60.  Enfin, elle signale que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le choix de la voie de droit la plus appropriée aux circonstances dépend du requérant (Airey c. Irlande, arrêt du 9 octobre 1979, série A no 32, § 23). Pour dissuader effectivement de commettre de graves atteintes à l'intégrité physique (telles que le viol dans l'affaire M.C.), qui mettent en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la vie privée, il faut des dispositions pénales efficaces (M.C. c. Bulgarie, no39272/98, §§ 124, 148-153, CEDH 2003-XII, et X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, §§ 23 et 24). Dans les circonstances de l'espèce, la requérante estime que c'est la voie pénale, qu'elle a choisie, qui était la plus appropriée.

61.  La Cour rappelle que, dans sa décision sur la recevabilité de la requête, elle a joint au fond l'examen de la question de l'épuisement des voies de recours internes (paragraphe 4 ci-dessus). Elle s'en tient à cette approche.

II.  LE FOND DE L'AFFAIRE

A.  Sur la violation alléguée de l'article 3 de la Convention

62.  La requérante se plaint que les faits de la cause ont emporté violation de l'article 3 de la Convention, qui dispose en ses passages pertinents :

« Nul ne peut être soumis à (...) des (...) traitements inhumains ou dégradants. »

63.  Le Gouvernement combat cette thèse.

64.  La requérante avance que les circonstances de l'affaire s'analysent en un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3 de la Convention.

65.  Elle déclare qu'un traitement revêt un caractère dégradant lorsqu'il est de nature à créer chez les victimes « des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à les humilier [et] à les avilir » (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, § 167). Le fait que l'Etat n'ait pas permis qu'elle bénéficie d'un avortement légal alors que sa santé était menacée et n'ait pas mis en place le mécanisme procédural nécessaire pour qu'elle puisse exercer ce droit signifie qu'elle a dû poursuivre sa grossesse pendant six mois en sachant qu'elle serait quasi aveugle au moment de l'accouchement. L'angoisse et la détresse qui ont résulté de cette situation ainsi que l'effet dévastateur qu'a eu ensuite la perte de sa vue sur sa vie et sur celle de sa famille ne sauraient être exagérés. Avant cette épreuve, elle avait déjà des difficultés à élever ses jeunes enfants avec sa mauvaise vue, et elle savait que sa grossesse anéantirait les capacités visuelles qui lui restaient. Comme son médecin le lui avait prédit en avril 2000, sa vue s'est gravement détériorée, ce qui lui a causé d'immenses difficultés personnelles et souffrances psychologiques.

66.  La Cour rappelle sa jurisprudence relative à la notion de mauvais traitement et aux circonstances dans lesquelles la responsabilité d'un Etat contractant peut se trouver engagée, y compris au regard de l'article 3 de la Convention, au motif que des soins médicaux appropriés n'ont pas été prodigués (voir entre autres, mutatis mutandis, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII). Vu les circonstances de la présente cause, la Cour juge que les faits allégués ne révèlent aucune violation de l'article 3. Elle estime par ailleurs qu'il convient plutôt d'examiner les griefs de la requérante sous l'angle de l'article 8 de la Convention.

B.  Sur la violation alléguée de l'article 8 de la Convention

67.  La requérante se plaint que les faits de la cause ont emporté violation de l'article 8 de la Convention. En effet, son droit au respect de sa vie privée et de son intégrité physique et morale a été enfreint tant sur le plan matériel, car elle n'a pas pu bénéficier d'un avortement thérapeutique légal, que sur le plan des obligations positives de l'Etat, auxquelles celui-ci a failli en ne prévoyant pas un cadre légal complet protégeant ses droits.

L'article 8 dispose en ses passages pertinents :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

1.  Les arguments des parties

a.  Le Gouvernement

68.  Le Gouvernement commence par souligner que, par principe, la grossesse et l'interruption de grossesse ne ressortissent pas exclusivement à la vie privée de la mère. Lorsqu'une femme est enceinte, sa vie privée devient étroitement associée au fœtus qui se développe. Il ne fait aucun doute que certains intérêts relatifs à la grossesse font l'objet d'une protection légale (Brüggemann et Scheuten c. Allemagne, no 6959/75, rapport de la Commission du 12 juillet 1977, Décisions et rapports (DR) 10, p. 123). Par ailleurs, la législation polonaise protège aussi le fœtus et ne permet donc une interruption de grossesse au titre de la loi de 1993 que dans des circonstances strictement définies. Le Gouvernement estime que, dans le cas de la requérante, les conditions fixées dans cette loi pour bénéficier d'un avortement légal pour des motifs de santé n'étaient pas remplies.

69.  Le Gouvernement plaide que, pour autant que la requérante alléguait que sa grossesse entraînait une menace pour sa vue en raison de sa forte myopie, seul un spécialiste en ophtalmologie pouvait décider s'il était médicalement conseillé qu'elle avorte. Or les ophtalmologues qui ont examiné l'intéressée durant sa grossesse n'ont pas estimé que la grossesse et l'accouchement constituaient une menace pour sa santé ou sa vie. L'intention de ces médecins était véritablement de protéger la santé de la requérante. Ils étaient tous d'avis que la requérante devait accoucher par césarienne. C'est d'ailleurs ainsi que les choses se sont en fin de compte passées.

70.  Le Gouvernement souligne qu'il existait une possibilité d'accouchement qui ne représentait aucune menace pour la santé de la requérante. Dès lors, la loi de 1993 ne permettait pas aux médecins d'émettre un certificat autorisant l'avortement. La requérante n'a donc pas pu bénéficier d'un avortement, car sa situation ne correspondait pas aux conditions fixées par la loi.

71.  Le Gouvernement conteste l'argument de la requérante selon lequel il n'existe en droit polonais aucune procédure pour évaluer le caractère approprié d'un avortement thérapeutique. Il fait valoir que les dispositions de l'ordonnance du 22 janvier 1997 émise par le ministre de la Santé ont instauré une procédure régissant les décisions en matière d'accès à l'avortement thérapeutique.

72.  Il déclare en outre que l'article 37 de la loi de 1996 sur les professions médicales permet à une patiente d'obtenir le contrôle de la décision d'un médecin quant au point de savoir si un avortement est indiqué, et ce par les collègues de ce médecin. Enfin, si la requérante n'était pas satisfaite des décisions médicales la concernant, elle pouvait se prévaloir des possibilités prévues en droit administratif.

73.  Pour conclure, le Gouvernement estime qu'il était loisible à la requérante de contester les décisions médicales rendues à son égard en recourant aux procédures offertes par la loi.

b.  La requérante

74.  La requérante conteste l'argument du Gouvernement selon lequel la jurisprudence des institutions de la Convention étend au fœtus la protection du droit à la vie consacré par l'article 2. D'après cette jurisprudence, « [l]a vie du fœtus est intimement liée à la vie de la femme qui le porte et ne saurait être considérée isolément » (X. c. Royaume Uni, no 8416/79, décision de la Commission du 13 mai 1980, DR 19, p. 261, § 19). La Cour elle-même a dit que la législation fixant le point de départ du droit à la vie relève de la marge d'appréciation des Etats, et a rejeté l'idée que la Convention assurait une telle protection. La Cour a observé que la solution à donner à ladite protection n'était pas arrêtée au sein de la majorité des Etats contractants et qu'aucun consensus européen n'existait sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie (Vo c. France [GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004-VIII).

75.  La requérante se plaint que les faits de la cause ont donné lieu à une violation de l'article 8 de la Convention. Pour ce qui est de l'applicabilité de cette disposition, elle souligne que les événements à l'origine de sa requête relèvent de la « vie privée », qui recouvre l'intégrité physique et morale de la personne (X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, § 22).

76.  Elle argue que les droits consacrés par l'article 8 ont été violés dans son chef tant sur le plan matériel, car elle n'a pas pu bénéficier d'un avortement légal, que sur le plan des obligations positives de l'Etat, auxquelles celui-ci a failli en ne prévoyant pas un cadre légal complet protégeant ses droits par les moyens procéduraux appropriés.

77.  S'agissant du premier volet de sa plainte, la requérante soutient que les faits très particuliers de la cause ont entraîné une violation de l'article 8. Elle a cherché à se faire avorter lorsqu'elle s'est trouvée face à un risque pour sa santé. Le refus d'un avortement lui a fait courir un grave risque pour sa santé et a emporté violation de son droit au respect de sa vie privée.

78.  La requérante combat la thèse du Gouvernement selon laquelle son état n'était pas d'une gravité telle qu'il correspondait aux conditions requises pour obtenir un avortement thérapeutique définies à l'article 4a de la loi de 1993 en ce qu'il n'était pas établi que la détérioration de sa vue après l'accouchement ait été la conséquence directe de la grossesse et de l'accouchement. En effet, elle souligne que cet argument n'est pas pertinent car la loi de 1993 dispose que l'avortement est légal dès que la santé de la femme enceinte est menacée, sans qu'il soit nécessaire que cette menace se concrétise.

Quoi qu'il en soit, cette menace s'est malheureusement matérialisée dans son cas, d'où une grave détérioration de sa vue après son accouchement.

79.  La requérante souligne de plus que l'ingérence dénoncée n'était pas « prévue par la loi » au sens de l'article 8 de la Convention. L'article 4 de la loi de 1993 autorise l'interruption de grossesse lorsque la poursuite de cette dernière constitue une menace pour la vie ou la santé de la mère. Elle disposait dès lors d'un droit, au titre de la législation polonaise, d'avorter pour des raisons de santé.

80.  Quant au second volet de son grief, relatif aux obligations positives de l'Etat, la requérante considère que les faits révèlent une violation de son droit à un respect effectif de la vie privée. L'Etat était tenu par l'obligation positive de fournir un cadre juridique complet pour régir les conflits opposant des femmes enceintes et des médecins quant à la nécessité d'interrompre une grossesse en cas de menace pour la santé de la femme. Or il n'existe aucun mécanisme institutionnel et procédural effectif permettant de statuer sur de tels cas et de les résoudre en pratique.

81.  La requérante souligne que la nécessité d'un tel mécanisme se faisait et se fait toujours sentir de manière aiguë. Les dispositions de l'ordonnance de 1997 et de la loi sur les professions médicales, invoquées par le Gouvernement, n'apportent aucun éclaircissement car elles sont toutes rédigées en termes extrêmement généraux. Elles prévoient que les médecins peuvent adresser des patientes à un service pratiquant l'avortement thérapeutique, mais sans donner de détails sur la façon de procéder ni sur les délais à respecter. Et, ce qui est grave, il n'existe aucun mécanisme permettant de contrôler ou de contester les décisions prises par les médecins de ne pas adresser la patiente à un service d'avortement.

82.  La requérante souligne par ailleurs que l'article 4 de la loi de 1993, pour autant qu'il renferme une exception à la règle d'interdiction de l'avortement, se rapporte à un domaine très sensible de la pratique médicale. Les médecins hésitent à effectuer les avortements nécessaires à la protection de la santé de la femme en raison de la nature très émotionnelle du débat sur l'avortement en Pologne. Ils craignent aussi que leur réputation soit ternie si l'on apprend qu'ils ont procédé à un avortement dans des conditions prévues par l'article 4. Ils peuvent également redouter des poursuites pénales.

83.  Elle indique que, l'Etat n'ayant pas mis en place au moins une procédure rudimentaire de prise de décision, les choses ne se sont pas déroulées dans son cas de manière équitable, et sa vie privée ainsi que son intégrité physique et morale n'ont pas été dûment respectées.

84.  A son avis, c'est à l'Etat qu'incombe la charge de veiller à ce que les services médicaux dont ont besoin les femmes enceintes et qui sont prévus par la loi soient disponibles en pratique. Le système légal polonais, pris dans son ensemble, parvient à l'effet inverse en ce qu'il dissuade fortement les médecins de fournir les services d'avortement autorisés par la loi. La souplesse que la loi semble offrir pour déterminer ce qui constitue une « menace pour la santé de la femme » au sens de l'article 4a de la loi de 1993 ainsi que l'absence de procédures et de contrôles adéquats tranchent avec le caractère strict de la législation pénale qui sanctionne les médecins pratiquant des avortement illégaux.

85.  La requérante indique que lorsqu'il existe, comme dans son cas, un profond désaccord entre une femme enceinte craignant qu'un troisième accouchement ne lui fasse perdre la vue, et des médecins, il n'est ni approprié ni raisonnable de laisser les médecins seuls arbitres de l'équilibre à ménager entre les droits fondamentaux. En l'absence de toute disposition prévoyant un contrôle équitable et indépendant, et eu égard à la vulnérabilité des femmes dans de telles circonstances, les médecins sont quasiment toujours en situation d'imposer leur avis quant à l'accès à l'avortement, en dépit de l'importance primordiale que leur décision revêt pour la vie privée de la femme concernée. Les circonstances de l'affaire révèlent l'existence d'un échec structurel sous-jacent du système légal polonais s'agissant de déterminer si les conditions requises pour un avortement légal sont ou non réunies dans un cas précis.

2.  Les arguments des tiers intervenants

a.  Le Center for Reproductive Rights

86.  Dans ses observations du 23 septembre 2005 adressées à la Cour, le Center for Reproductive Rights soutient que la question centrale en l'espèce est celle de savoir si un Etat partie qui accorde dans la loi aux femmes le droit de recourir à un avortement lorsque la grossesse menace leur santé physique, mais ne prend pas les mesures légales et de politique afin que les femmes se trouvant dans ce cas puissent exercer effectivement leur droit, méconnaît les obligations qui lui incombent en vertu de l'article 8 de la Convention. Cette association estime que l'Etat qui s'engage à autoriser l'avortement dans certaines circonstances est par là même tenu de veiller à ce que la garantie de pouvoir bénéficier d'un avortement inscrite dans les textes se traduise dans les faits. A cette fin, les Etats doivent prendre des mesures concrètes pour assurer aux femmes un accès effectif à l'avortement. Parmi ces mesures doivent figurer des procédures d'appel ou de contrôle des décisions médicales de rejet de demandes formulées par des femmes en vue d'être autorisées à avorter.

87.  La Pologne ne dispose pas de mécanismes juridiques et administratifs effectifs permettant de contester en appel ou de demander le contrôle de décisions de médecins constatant que les conditions nécessaires pour autoriser un avortement ne sont pas remplies, au contraire de nombreux autres Etats contractants. L'existence de procédures de recours ou de contrôle dans des pays de toute l'Europe tels que la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, la Finlande, la Norvège, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie ou la Suède est révélatrice d'un consensus quant à la nécessité de protéger le droit des femmes à avorter légalement dans les cas où les services de santé refusent de pratiquer l'avortement, y compris lorsque la santé de la femme est menacée.

88.  La plupart des lois et règlements relatifs aux procédures de recours en matière d'avortement prévoient des délais stricts pour trancher en la matière, ce parce que le facteur temps est décisif dans le domaine de l'avortement et que les procédures habituelles de contrôle administratif ou juridictionnel ne peuvent aboutir dans les délais nécessaires. Tandis que de telles contraintes de temps obligent implicitement les médecins qui rejettent une demande d'avortement à transmettre immédiatement le dossier médical de la femme à l'organe chargé d'effectuer le contrôle ou d'examiner l'appel, certaines lois renferment des dispositions explicites contraignant les médecins à procéder ainsi. Dans certains pays, l'organe d'appel ou de contrôle doit indiquer à la femme l'endroit où l'avortement sera pratiqué si son appel est accueilli. Lorsqu'un tel organe constate que les conditions nécessaires pour autoriser l'interruption de grossesse ne sont pas réunies, certaines lois exigent que la femme en soit informée par écrit. Dans tous les pays, il n'est pas nécessaire de suivre la procédure d'appel lorsque la grossesse constitue une menace pour la santé ou la vie de la femme enceinte. Dans certains Etats contractants tels que la Norvège et la Suède, une demande d'avortement rejetée est automatiquement examinée par un organe de contrôle. En Norvège, le médecin de comté forme un comité, dont la femme enceinte fait partie.

89.  L'association indique que la législation de nombreux Etats contractants renferme des dispositions soulignant expressément le droit des femmes à la dignité et à une prise de décision autonome s'agissant des demandes d'avortement et de la disponibilité des services d'avortement. Elle renvoie aux législations norvégienne et française qui mettent fortement l'accent sur l'autonomie de la femme et sa participation active à l'ensemble du processus de décision au sujet de l'accès à l'avortement.

90.  Elle conclut que l'absence en Pologne de procédures de recours rapide porte atteinte au droit des femmes d'accéder aux soins dans le domaine de la reproduction, ce qui n'est pas sans conséquences potentiellement graves sur leur vie et leur santé. Cela prive en outre les femmes du droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la Convention.

b.  La fédération polonaise des femmes et du planning familial, et la branche polonaise de la fondation Helsinki pour les droits de l'homme

91.  La fédération polonaise des femmes et du planning familial et la branche polonaise de la fondation Helsinki pour les droits de l'homme indiquent dans leurs observations du 6 octobre 2005 que l'affaire porte essentiellement sur la difficulté à obtenir un avortement thérapeutique, autorisé lorsque l'une des conditions énumérées à l'article 4 de la loi de 1993 est remplie. Ces associations soulignent qu'en Pologne, il arrive souvent en pratique que des médecins refusent d'émettre un certificat autorisant un avortement thérapeutique alors qu'il existe de véritables motifs pour cela. Il arrive aussi souvent qu'une femme obtienne un certificat mais que le médecin à qui elle s'adresse ensuite mette en cause la validité de ce document et la compétence du médecin qui l'a rédigé et refuse en fin de compte de procéder à l'avortement, parfois après que le délai fixé par la loi pour l'avortement légal ait expiré.

92.  Le fait qu'en droit polonais, l'avortement soit assimilé à une infraction pénale en l'absence de procédures transparentes et claires à suivre pour déterminer dans quels cas un avortement thérapeutique peut être effectué constitue l'un des facteurs qui dissuadent les médecins de pratiquer de telles interventions. Il y a donc de fortes chances pour que soient rendues des décisions négatives concernant les demandes d'avortement thérapeutique.

93.  Il n'existe aucune directive pour définir ce qu'est une menace pour la vie ou la santé d'une femme au sens de l'article 4a de la loi. Il apparaît que certains médecins ne prennent pas en compte une menace pour la santé de la femme du moment qu'il y a des chances qu'elle survive à l'accouchement. En outre, déterminer si la grossesse constitue une menace pour la santé ou la vie de la femme pose un problème lorsque celle-ci souffre d'ennuis de santé multiples et complexes. En pareil cas, on ne sait pas clairement qui doit être reconnu comme le spécialiste compétent pour émettre le certificat médical dont il est question à l'article 2 de l'ordonnance de 1997.

94.  La loi polonaise ne prévoit pas de mesures effectives pour contrôler les refus d'autoriser un avortement thérapeutique. En conséquence, les femmes qui se voient opposer un tel refus n'ont pas la possibilité de consulter un organe indépendant ou de faire contrôler pareilles décisions.

95.  En bref, la façon dont les garanties prévues à l'article 4a de la loi de 1993 sont actuellement appliquées en Pologne va à l'encontre des exigences de l'article 8 de la Convention.

c.  Le forum des femmes polonaises

96.  Le forum des femmes polonaises plaide dans ses observations du 3 novembre 2005 que les droits garantis par l'article 8 de la Convention imposent à l'Etat l'obligation de s'abstenir de toute ingérence arbitraire, mais non celle d'agir. Cette disposition de la Convention tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des actes arbitraires des pouvoirs publics (Kroon et autres c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1994, série A no 297-C, § 31). Ne serait-ce que pour cette raison, il est impossible de déduire de cet article l'obligation de faire procéder à des interventions médicales, en particulier lorsqu'il s'agit d'un avortement.

97.  Le forum déclare de plus que, concernant l'avortement, on ne saurait dire que la grossesse relève exclusivement de la sphère de la vie privée. Même à supposer que les questions juridiques que pose la grossesse puissent être traitées sous l'angle de l'article 8 de la Convention, les Etats peuvent adopter des restrictions légales dans la sphère privée si pareilles mesures visent à protéger la morale ou les droits et libertés d'autrui. Dans l'interprétation qu'elle a donnée de cette disposition jusqu'à présent, la Cour n'a pas contesté que les droits du fœtus devaient être protégés par la Convention.

98.  En particulier, la Cour n'a pas exclu la possibilité que, dans certains cas, les garanties puissent s'étendre à l'enfant à naître (Vo, précité, § 85). Le système juridique polonais accorde une protection constitutionnelle à la vie du fœtus sur le fondement de la conception selon laquelle la vie humaine doit être protégée par la loi à tous les stades du développement. La loi de 1993 admet des exceptions à ce principe de protection juridique de la vie humaine dès la conception.

99.  Toutefois, contrairement à ce que la requérante avance, la législation polonaise applicable ne prévoit aucun droit à l'avortement, s'agissant même des exceptions à l'interdiction générale de l'avortement qui figurent à l'article 4a de la loi de 1993. Cette disposition ne confère nullement à une femme enceinte un droit à l'avortement, mais se borne à supprimer le caractère illégal de l'avortement en Pologne dans des situations de conflit entre le droit du fœtus à la vie et d'autres intérêts. En tout état de cause, le simple fait que l'avortement soit légal dans certains cas qui constituent une exception au principe général ne permet pas de conclure que la préférence de l'Etat va à cette solution.

100.  Le forum plaide de plus que l'ordonnance de 1997 laisse les médecins libres d'apprécier les conditions dans lesquelles peut être pratiqué un avortement pour motifs médicaux. Les raisons pour lesquelles la grossesse menace la vie ou la santé de la femme doivent faire l'objet d'une attestation de la part d'un médecin spécialisé dans le domaine médical dont relève l'état de la femme. Toutefois, un gynécologue peut refuser de pratiquer un avortement pour des motifs de conscience. C'est pourquoi une patiente ne peut pas traduire en justice un médecin qui a refusé de procéder à un avortement et le tenir pour responsable des problèmes de santé qui surviennent après l'accouchement.

101.  Enfin, il considère que l'on ne saurait conclure a posteriori que la grossesse menaçait de porter atteinte à la santé d'une femme enceinte si la détérioration de son état s'est produite après la naissance de l'enfant.

d.  L'association des familles catholiques

102.  Dans ses observations du 20 décembre 2005, l'association des familles catholiques soutient que la requérante commet une erreur de droit lorsqu'elle affirme que la Convention garantit le droit à l'avortement. En réalité, la Convention