BIBLIOGRAPHIE
Juliette Morillot - Dorian Malovie
Evadésde Corée du Nord
Belfond
Pour la première fois, les survivants de la famine et de la répression en Corée du Nord prennent la parole et livrent de terribles témoignages sur leur vie quotidienne.
Dictature communiste la plus fermée au monde, classée parmi les nations de l'Axe du mal par George W. Bush, la Corée du Nord suscite crainte et curiosité. Plus de 300 000 Nord-Coréens ont réussi à fuir ce véritable « Royaume Ermite ». Tous ont vécu la peur des arrestations, des camps de concentration ou des exécutions publiques. Aujourd'hui, déracinés, clandestins en Chine ou réfugiés en Corée du Sud, ils racontent leur quotidien, leur exil, leur errance sur des terres inhospitalières, aux marges d'un monde qui les broie.
Grâce à leur maîtrise des langues coréenne et chinoise, Juliette Morillot et Dorian Malovic offrent une enquête inédite et inestimable à travers des témoignages authentiques recueillis sans intermédiaire. Leur périple nous emmène aux confins de l'Asie, de la Corée du Nord à la Mandchourie chinoise, en Corée du Sud et au japon.
Juliette Morillot
Journaliste et historienne, diplômée de langues orientales, Juliette Morillot est une des rares spécialistes de la Corée. Elle a publié plusieurs documents et romans sur ce pays, notamment Les Orchidées rouges de Shanghai (Presses de la Cité, 2001).
Dorian Malovie
Chef du service «Asie » au quotidien La Croix, Dorian Malovic est journaliste, spécialiste du monde chinois. Correspondant de presse à Hong Kong durant de nombreuses années, il est l'auteur du film document Hong Kong : un destin chinois (Bayard, 1997).
Table
Note de l'Éditeur 7
Note des Auteurs 7
Avant-propos 9
Clandestine 17
Exode 22
Désastre 25
Indésirables 29
Paroles de femme : Sukhui, écrivain officiel 33
I. MANDCHOURIE, AUX MARCHES DU ROYAUME
ERMITE 49
Les trois frontières 50
« Les gens des tentes de vinyle » 53
• À l'ouest du Changbai-shan, la montagne mythique 56
La nageuse du Tumen 58
Tumen, aux portes du Royaume Ermite 62
• Le chauffage en Corée du Nord 64
La grand-mère de Nanping 66
Yanbian, terre coréenne en Chine 72
• Histoire coréenne de la Mandchourie 73
• Les chaumières coréennes de Mandchourie 79
• La langue coréenne et son écriture 80
Chimmukeui gyeyul, la loi du silence 81
Ces cousins de Corée du Nord 85
Nostalgie du Nord 88
« Les grenouilles au fond du puits » 90
Les colporteurs du Tumen 92
• Insignes 96
Mafieux des trois frontières 99
Ajumeoni, entre deux mondes 101
• Les marchands de l'empire du Milieu 102
L'homme de Nampo 108
Paroles d'orphelin : Hyonam, détenu au camp n° 12 113
II. CORÉE DU NORD, LE RÈGNE DE LA PEUR 125
Les lapins de Pyongyang 128
• De l'autosuffisance à la famine 130
Sushis et pizzas 139
Survivre à tout prix 145
Le miracle de la patate 146
Dans les secrets des campagnes 150
Les stratégies de survie 154
Les petites hirondelles du Tumen 158
Vendues 160
Les camps de la mort 165
L'armée fait du business 170
Le filon de la drogue 177
Nos frères du Japon 182
La manne japonaise 184
• Les Coréens du Japon 185
Les missiles de Pyongyang 194
Les bûcherons de Sibérie 197
L'allié chinois 201
Les racines du changement 204
Paroles d'en haut: Koh Young-Hwan, diplomate 211
Paroles d'en bas : Eun-Seok, étudiante 223
III. CORÉE DU SUD, LE RÊVE MlPOSSIBLE 241
Les héros anonymes 242
Les violeurs d'âmes 247
L'évasion du colonel Cho 253
Traumatismes 257
Violences 261
Souffrances 266
Périlleuse odyssée 271
Le paradis perdu 278
Oksun halmeoni, le retour 286
• Des familles séparées depuis plus d'un demi-siècle 294
Quête familiale 295
Retrouvailles à Pyongyang 299
• Le puzzle nucléaire nord-coréen 303
Le dernier mythe de la guerre froide 304 Yankees go home ! 309 • Le développement nucléaire de la
Corée du Nord 314
Offensives de charme 318
Remerciements 325
Extraits (choisis par le CERF)
« Nous avons voulu dans ces pages retracer la réalité de la vie en Corée du Nord, sans en cacher la dureté mais sans jamais non plus n'y voir que la douleur, la peur ou la famine. Nous n'avons pas censuré les paroles de joie, de bonheur, toutes les paroles d'émotion qui rendent les NordCoréens si proches. Nous avons aussi refusé de déchiffrer l'indécryptable et de nous satisfaire de déductions hâtives faites à la suite de visites guidées en Corée du Nord. Apercevoir à la sauvette un enfant maigre dans une rue de Pyongyang n'autorise pas à affirmer qu'il sort d'un camp de travail. »
« Nous avons choisi d'écouter tous les Nord-Coréens et pas seulement ceux que nous trouvions émouvants. Nous avons écouté les petites gens qui forment la masse de la population, ceux qui n'ont rien d'autre à raconter qu'un quotidien gris, banal, sans relief, tissé de souffrance et de peines. Nous avons écouté aussi ces anciens privilégiés qui ont vécu dans un monde de luxe éloigné de la réalité. Et enfin ceux qui n'intéressent pas car trop peu « caractéristiques », ni pauvres, ni privilégiés : les « moyens » qui ont subsisté de bric et de broc malgré les difficultés, profitant du régime et menant une vie confortable. Aujourd'hui déracinés en Corée du Sud, ils la regrettent clairement. Faut-il avoir été pauvre et affamé pour attirer la sympathie ? Tous sont victimes de ce régime. Bourreaux et prisonniers, nantis et démunis, profiteurs et exploités.
Tous aussi regrettent la Corée du Nord. Leur patrie. Ils ont quitté leurs souvenirs, leur enfance. Beaucoup ont laissé de la famille ou des amis de l'autre côté. Tous, enfin, éprouvent une grande nostalgie des années Kim II-Sung. Un « Grand Leader » aimé et pas seulement « vénéré aveuglément », comme on voudrait trop nous le faire croire, un Grand Leader qui, au lendemain de la guerre, a transformé aux yeux de toute une génération un pays pauvre et détruit en un pays où chacun avait de la nourriture, un toit, un métier, l'accès à l'éducation: la République populaire démocratique de Corée. »
« Née de la partition de la péninsule le long du 38e parallèle en 1953, la RPDC est un pays fermé, difficile d'accès, véritable Royaume Ermite. »
« On se souvient de la célèbre réplique de Marie-Antoinette à Talleyrand face aux insurrections populaires aux grilles du palais: « Que demande le peuple ? -Du pain, Majesté. - S'il n'a plus de pain, qu'il mange donc de la brioche ! » Koh Young-Hwan, ancien haut diplomate nord-coréen qui fréquenta l'intelligentsia politique du pays, nous racontait qu'un jour un ministre s'irritant de voir sa secrétaire arriver chaque jour épuisée et en retard à son travail, lui demanda de changer ses habitudes. « Qu'y puis-je, s'excusa la jeune femme, j'ai plus de deux heures de trajet pour arriver au ministère, et avant de partir je dois préparer le repas pour toute ma famille ! - Vous êtes une gourde, répondit le ministre, faites comme moi, prenez des oeufs durs ou à la coque au petit déjeuner, c'est bon pour la santé et rapide à cuisiner ! ». Il va sans dire que les oeufs sont en Corée du Nord une denrée si rare que bien des réfugiés ne se souviennent même pas d'en avoir jamais mangé ! »
« Vendues
Beaucoup réussissent à fuir mais, après des mois de faim et de mendicité en Corée du Nord, ils doivent affronter de nouveaux dangers. En Chine aussi il faut survivre. Les plus chanceux travaillent comme livreurs ou manutentionnaires sur les marchés, déchargent les marchandises ou balaient les rues de leurs détritus.
Les filles quant à elles sont la proie des mafieux et des réseaux de prostitution. La nuit, de plus en plus de jolies Nord-Coréennes, visage juvénile et lèvres trop rouges, arpentent les rues, travaillent dans les cafés (dabang), les salons de thé traditionnels (jeontong chatjip), les bars et les karaokés (noraebang) de Yanji, Dalian ou Shenyang.
La prostitution est interdite en Corée du Nord. D'après les témoignages, Kim Jong-Il se montrerait plutôt puritain et, malgré son penchant pour les jolies femmes, y serait totalement opposé. Comme notre guide Min-Hong, l'homme de Nampo a été catégorique: « Non, il n'y a pas de prostitution en Corée du Nord. » Nous avons souri et il a poursuivi: « Des pays où il n'y a pas de prostitution, ça n'existe pas, c'est vrai ! Bon... Mais, comprenez, chez nous, c'est impossible ! Qui prendrait un tel risque ? » Du plat de la main, il mime une fois de plus le geste universel d'exécution. « Tout se sait en Corée du Nord ! La prostitution d'État à Pyongyang ? Oui peut-être... Cela doit bien exister ! Comme partout, mais je reste dubitatif. Nous avons tous peur, vous comprenez. Il y en a probablement dans les restaurants spéciaux pour très hauts fonctionnaires mais c'est différent... Ce sont des relations de plus longue durée qui sont payées, pas de la réelle prostitution ! »
« Mme Parkl, ancienne dignitaire du gouvernement réfugiée en Chine, raconte que lors d'un déplacement professionnel dans une grande ville de la côte est, elle avait voulu prendre l'air la nuit et se promener jusqu'au marché noir, ouvert tard le soir. Elle flânait sans but réel entre les stands illuminés quand un homme l'avait abordée avec une curieuse question : « Avez-vous des fleurs à vendre ? » Elle n'y avait pas prêté attention, pensant qu'on l'avait prise pour une marchande, mais au fur et à mesure qu'elle marchait elle avait observé le grand nombre de petites fleuristes accroupies sur le sol. Lorsque à son tour elle avait demandé le prix d'un bouquet de fleurs à une jeune femme, sa réponse cinglante lui avait tout à coup ouvert les yeux: « Qu'est-ce que tu veux ? Barre-toi ! » Ayant poursuivi son enquête avec un ami, elle aurait découvert que la pratique était courante.
« Je me lève vers midi, lui expliqua une femme, je me prépare, me maquille et je sors en direction de la gare avec un bouquet de fleurs ou parfois un mouchoir blanc que je tiens à la main. J'observe bien les gens avant de les aborder et puis je me lance et propose "mes fleurs". La plupart des hommes savent très bien de quoi il s'agit. Mes clients sont souvent des fonctionnaires haut placés qui, après avoir obtenu ce qu'ils souhaitent, marchandent le prix en menaçant de me dénoncer... »
Mme Park ajoute enfin qu'elle ne se fait pas d'illusions non plus sur la prostitution au niveau gouvernemental. « Tout le monde a entendu parler de ces jeunes filles sélectionnées dans les lycées parmi les plus jolies pour travailler à Pyongyang, dans l'entourage du dirigeant. Les jolies cheerleaders que tout le monde a admirées lors du match de foot amical entre les équipes des deux Corées en 2002, à Busan, en faisaient sans doute partie ! »
« La prostitution ne représente qu'un aspect de ce douloureux trafic de femmes des bords du Tumen. Les NordCoréennes n'ignorent pas qu'en Mandchourie les Chinois ont du mal à trouver des épouses prêtes à travailler dans ces régions rurales où la vie est dure. La préférence pour les enfants mâles en Chine a en effet réduit le nombre des filles en âge de se marier. Ces Coréennes, vigoureuses, âpres au travail, prêtes à tout pour vivre en Chine sont une aubaine pour Chinois et joseon jok du Dongbei.
Alors, pour mettre fin à une vie d'errance, d'angoisse, et nourrir parfois la famille restée en Corée du Nord, les femmes de Corée n'hésitent pas à se marier, même si le nouvel époux est vieux, handicapé ou alcoolique. Otages de leur situation illégale, elles vivent en recluses, ne quittant jamais l'enceinte de la ferme. Un calvaire auquel s'ajoutent bien souvent violence et prostitution quand les maris à leur tour deviennent entremetteurs, cédant leur épouse moyennant finance avant de s'en débarrasser parfois sur un simple coup de fil de dénonciation à la police chinoise pour mieux se remarier une fois de plus avec une nouvelle réfugiée...
Sukhui, notre écrivain officiel nord-coréen, mariée deux fois en Chine, affirme que dans les villages où elle habita, une femme mariée sur dix était d'origine nord-coréenne. Pour elle, les trois quarts des cent mille réfugiés de la région seraient des femmes, affirmation reprise par Kim SangHun, activiste sud-coréen défenseur des Droits de l'homme qui rappelle que la rafle chinoise de mars 2000 destinée à mettre fin au trafic humain avait renvoyé près de huit mille femmes en Corée du Nord.
Ajumeoni connaît bien ce trafic. « Avant, une femme qui traversait la frontière était vendue entre trois mille et dix mille yuans'. C'était le tarif, mais aujourd'hui je ne sais pas. Ces mariages mènent toujours à la séparation. Une femme coréenne ne peut pas vivre avec un Chinois. Il y a trop de différences : la langue, la mentalité... Beaucoup de Nord-Coréennes sont employées dans les restaurants, les bars et les karaokés, mais sans papiers, illégalement. Alors elles sont-exploitées. Quand une Chinoise gagne cinq cents yuans' par mois, une Coréenne n'en reçoit qu'une centaine. La prostitution ? Il y a beaucoup de Nord-Coréennes qui travaillent dans les bordels ici... »