CONSTITUTION EUROPEENNE

 

APPEL DE JURISTES POUR LE NON

 

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Communiqué :

« Appel des 23 »


Un groupe d'universitaires, de juristes et de politistes, prend position pour le non au référendum. Parmi eux, Jean Foyer, ancien Garde des sceaux, et Jean Kahn, ancien président de la Section de l'intérieur du Conseil d'Etat, ancien conseiller de François Mitterrand.

 

Texte de l’appel :

           

 

Parce que le projet de constitution européenne soumis au référendum du 29 mai prochain traduit un changement qualitatif essentiel dans la conception de l’Europe, les juristes soussignés ont choisi de rendre publique la déclaration suivante.

 

            - Comme son nom l’indique, le traité soumis au référendum « établit une Constitution pour l’Europe », en la dotant donc d’un statut de droit public interne.

            La primauté expressément affirmée du droit européen sur le droit des Etats y compris sur les Constitutions nationales (article I.6), la personnalité juridique reconnue à l’Union (article I.7), la transformation des règlements et directives communautaires en lois et lois-cadres (article I.33), la création d’un ministre européen des affaires étrangères (article I.28), la répartition centralisatrice des compétences entre l’Union et les Etats (articles I.11 à I.18) ainsi que l’introduction d’une charte des droits fondamentaux (partie II) sont autant d’éléments d’une Constitution effective.

            Il n’est donc pas contestable que ce texte traduit un choix en faveur de la création d’une entité supranationale, fédérale si tant est que l’on puisse ranger dans une catégorie une construction peu cohérente, qui relègue les anciens Etats-nations au rang de pouvoirs locaux.

 

- Cependant, n’attribuant explicitement la souveraineté à personne, les institutions proposées ne répondent à aucune des exigences élémentaires de la démocratie et de la séparation des pouvoirs. La confusion institutionnelle est totale : ni les Etats, ni le Conseil, ni les parlementaires européens n’ont l’initiative des lois qui se trouve monopolisée par la Commission. Les peuples des Etats d’Europe perdent ainsi leur souveraineté au profit d’instances technocratiques. Les multiples imprécisions et contradictions, repérables d’un bout à l’autre d’un texte confus et mal rédigé constituent, en outre, un appel permanent au « gouvernement des juges » européens.

Plusieurs innovations, sans portée véritable, (droit de pétition, information pour avis des Parlements nationaux…), sont loin de rééquilibrer l’ensemble. Le gouvernement de l’Union demeure dans ces conditions essentiellement oligarchique.

 

- La Constitution européenne traite également de nombreuses questions qui n’ont pas leur place dans une loi fondamentale (partie III). Il est, en effet, tout à fait contraire à la tradition des Etats démocratiques d’intégrer les politiques (économique, agricole, commerciale…) dans un document à valeur constitutionnelle. La référence à l’OTAN est également déplacée en ce qu’elle constitutionnalise une politique d’alliances qui doit rester par nature discrétionnaire.

 

- Le texte constitutionnel prévoit l’ouverture du marché européen à la concurrence mondiale et favorise la surévaluation de l’euro. Alors que l’Union constituait à l’origine un marché commun doté d’un tarif extérieur commun, l’ouverture du commerce mondial constitue dorénavant l’un de ses objectifs (art. I-3 alinéa 4). La Banque centrale dont l’indépendance est constitutionnellement protégée se voit attribuer comme objectif principal de maintenir la stabilité des prix. L’Union ne protège ainsi nullement les économies des Etats-membres contre le développement accéléré de la concurrence mondiale tandis que la politique de l’Euro fort les expose considérablement.

 

            - Reprenant pour l’essentiel le contenu exact de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à laquelle adhèrent déjà tous les Etats-membres de l’Union, la Charte des droits fondamentaux n’apporte rien par rapport à cette Convention ni par rapport à la Constitution française, si ce n’est une vision communautariste de la société qui renvoie le citoyen à son appartenance à une catégorie ou à une minorité (religieuse, ethnique, sexuelle…). Elle s’éloigne ainsi de la conception des droits de l’homme issue de la philosophie de 1789 et de la laïcité. En matière de droits sociaux, la Charte laisse espérer des progrès que la Constitution ne peut garantir, faute de procédures juridiques permettant d’en exiger la réalisation.

 

Ils voteront « Non » au référendum du 29 mai.

 

 

Liste des premiers signataires :

 

Paul Allies, professeur à l’université Montpellier I

Christophe Beaudouin, avocat au barreau de Paris

Bernard Beignier, professeur à l’université de Toulouse I

Philippe Beneton, professeur à l’université Rennes I

Jacques Bouveresse, professeur à l’université de Rouen

Rober Charvin, professeur à l’université de Nice

Jean-Marie Crouzatier, professeur à l’université Toulouse 1

Philippe Delebecque, professeur à l’université Paris I

Florence Deboissy, professeur à l’université Bordeaux IV

Frédérique de la Morena, Maître de Conférences à l’université Toulouse I

Jean-Marie Denquin, professeur à l’université Paris X

Yvonne Flour, professeur à l’université Paris I

Jean Foyer, professeur émérite à l’université Paris II, ancien ministre, membre de l’Académie des sciences morales et politiques

François Gaudu, professeur à l’université Paris I

Michel Germain, professeur à l’université Paris II

Jean-Eric Gicquel, professeur à l’université Rennes I

Olivier Gohin, professeur à l’université Paris II

Marie Goré, professeur à l’université Paris II

Patrick Guiol, chargé de recherches au CNRS

Jean Hauser, professeur à l’université Bordeaux IV

Carlos Herrera, professeur à l’université de Cergy-Pontoise

Vincent Heuzé, professeur à l’université Paris I

Jean Kahn, ancien président de la section de l’intérieur du Conseil d’État, ancien conseiller de François Mitterrand

Gilles Lebreton, professeur à l’université du Havre

Anne- Marie Le Pourhiet, professeur à l’université Rennes I

Gérard Marcou, professeur à l’université Paris I

Pierre-Marie Martin, professeur à l’université Toulouse I

Pierre Mayer, professeur à l’Université Pars I

Cécile Moiroud, maître de conférences à l’université Paris I

Armel Pécheul, professeur à l’université d’Angers

Jacques Petit, professeur à l’université Rennes I

Joseph Pini, professeur à l’université d’Avignon

Xavier Pirou, ATER à l’université Rennes I

Serge Regourd, professeur à l’université Toulouse I

Patrick Rémy, Maître de Conférences à l’université Paris I

François Terré, professeur émérite à l’université Paris II, membre de l’Académie des sciences morales et politiques