Cercle d'Etude de Réformes Féministes

 

Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté

 

Fiche de lecture

 

JEANNE-HELENE KALTENBACH  & MICHELE TRIBALAT

 

LA REPUBLIQUE ET L’ISLAM[1]

 

 

 

La présente fiche ne se veut pas un résumé, (il ne faut pas résumer ce livre, mais l’acheter et le lire !), mais un relevé des points qui nous sont apparus cruciaux par rapport aux problèmes juridiques de la laïcité et de l’égalité des sexes.

 

Le livre : « traite de l’islam tel qu’il apparaît aujourd’hui dans les discours des autorités religieuses et autres leaders d’opinion musulmans en France ».

 

Son sous titre est «  entre crainte et aveuglement ».

Tout le livre semble être l’historique d’une sidération de la République devant des gens convaincus, idéologiquement conquérants, et qui appliquent le principe suivant, cité par les auteures (p251): « Plusieurs siècles auparavant, Ibn-é Khladoun avait dit : « La vraie défaite d’une société devant ses ennemis n’est pas une défaite militaire. La société vaincue est celle qui adopte les us et coutume de son ennemi. » »

 

 

Les auteures commencent par expliquer comment l’on est passé de la notion d’assimilation des immigrés, à un rejet de cette notion au profit de celle d’ « intégration », au nom de ce qu’elles désignent comme un « écolo-différentialisme ». Qu’elles dénoncent à la fois comme (p33) « prime à un tiers mondisme machiste » et  (p52) « nouvelle tyrannie, celle de la prédestination ethnico-culturelle ».

Elles terminent l’ouvrage par un panorama de « l’islam des internautes », qui,  à travers l’analyse de sites musulmans, décrit l’idéologie  islamique/iste, ( les auteures  examinent aussi en elle-même la question de la distinction des deux notions : islamique et islamiste).

Au centre de cette idéologie, se trouve l’idée d’une préeminence de la loi divine révélée par Mahomet, qui s’oppose par définition à toute idée d’assimilation à un groupe soumis à une autre loi. Loi divine qui devrait être « intégrée » aux lois des Etats où vivent des musulmans : c'est-à-dire que les musulmans sont invités à faire pression[2] sur les pays non islamiques pour que ceux-ci intègrent dans leur législation les règles islamiques. Le respect des musulmans impliquant en effet de ne pas leur imposer de se soumettre à des règles qui seraient en contradiction avec la loi musulmane.

 

 

Ainsi, les auteures nous expliquent comme le Conseil d’Etat [ plus haute juridiction dans l’ordre des juridictions  administratives, équivalent de la Cour de Cassation dans l’ordre des juridictions judiciaires ] (et nombre de politiciens ) a renoncé successivement :

 - à la notion d’assimilation, figurant pourtant comme condition de naturalisation dans le chapitre sur la nationalité française du code civil,

 - à la notion de laïcité dans son acception historique, qui est celle de neutralité des pouvoirs et de l’espace public, au profit de celle d’égalité entre les religions,

 - et à travers ces deux renversements idéologiques, au respect du principe d’égalité des sexes, bafoué dans les deux cas par l’acceptation d’attitudes et de comportements qui le désavouent manifestement, or , atteinte aux droits des femmes signifie à son tour atteinte à la République : (p187)«  L’identité française, c’est d’abord l’esprit des lois qui la régissent. Or l’essentiel des différences entre le droit français et les codes de statut personnel inspirés par l’islam porte sur le droit de la famille et sur le droit des femmes. La femme n’est pas une question, c’est LA question ».

 - pire peut être, pure renonciation au principe fondamental de liberté de conscience, (p162) le gouvernement a renoncé à faire signer aux participants à la consultation pour la constitution d’une instance représentative de l’islam de France, un texte contenant « la mention du droit à changer de religion et de conviction, alors même que, selon les oulémas, l’acte d’apostasie mérite la peine de mort » ( -p159- alors que, reculade culturelle symbolique, ce même gouvernement lançait à l’occasion de cette consultation une revue officielle dont le titre était un mot … arabe, signifiant « la consultation » !)

 

La naturalisation peut être refusée pour « défaut d’assimilation »[3]. La jurisprudence du Conseil d’Etat entendait habituellement par là, soit le manque de connaissance de la langue française, soit le fait de mener un mode de vie inconciliable avec l’appartenance à la communauté française.

Or en 1997 (p44 &suiv), le conseil d’Etat accepte la naturalisation d’un homme (A) appartenant au Tabligh, portant djellaba et barbe, priant sur son lieu de travail, dont la femme est voilée et sort peu de chez elle, auquel le commissaire du gouvernement reproche « d’être un fondamentaliste, et surtout d’avoir un comportement incompatible avec deux  caractéristiques de la société française : la laïcité et l’égalité des sexes ». Le conseil d’Etat déclare alors que « la laïcité n’impose pas aux citoyens de s’abstenir de toutes marques d’appartenance religieuse, même si dans certains lieux d’une particulière sensibilité ; comme dans les établissements scolaires, le port de telles marques peut être interdit, mais à la condition qu’il fasse courrir un risque à l’ordre public, comme le précisait le célèbre avis du 27 novembre 1989 ».

Par contre, en 2001, il refuse la naturalisation d’un homme (B), en raison de « liens » qu’il aurait avec le FIS, au motif que son « adhésion aux valeurs d’un mouvement prônant le rejet des principes de laïcité et de tolérance et recourant à la violence et au terrorisme, ne permet pas de le regarder comme assimilé à la communauté française. »

 

Les auteures voient dans ces arrêts un (p48) « bouleversement de la philosophie politique inscrite au cœur même de la loi d’intégration nationale. »

En effet le fait de refuser de voir dans la prière sur le lieu de travail un défaut d’assimilation, à moins qu’elle n’ait un caractère agressif ou entraine la réprobation des collègues, revient pour les auteures à réduire la laïcité à une question d’ordre public. D’autre part, (p47) « si l’on renonce à donner un sens général au foulard islamique, pour ne retenir que celui qu’invoque personnellement celle qui le porte, il n’y a aucune raison de lui en trouver un au regard de l’assimilation. » « Privé de sens, le foulard ne peut être, pour Conseil d’Etat, ni un signe de fermeture à la société d’accueil, ni un manque de respect des mœurs et usages français, alors qu’il est signe de soumission à l’ordre masculin islamique et donc profondément contraire au principe d’égalité des hommes et des femmes. En privant de sens le port du foulard islamique, c’est le concept d’assimilation qui se trouve, par là même, vidé de son sens »[4].

 

Elles constatent que cette révolution est possible dans le plus grand silence (p48) : « On peut donc changer subrepticement de modèle politique sans changer la loi ni engager le débat national, en laissant le Conseil d’Etat  décider pour nous en ajustant la pratique  juridique à l’idée que ses membres se font de l’évolution de la société ». On peut donc changer le droit de manière fondamentale sans changer la loi, subrepticement. (Nous dirions qu’il suffit de changer la DEFINITION.)

 

Si ceux qui sont censés conserver l’idée légale d’assimilation l’abandonnent, d’autres ont clairement pour objectif de la remplacer par la notion d’intégration : pour le président de la Ligue islamique du Nord[5] (p38): « L’assimilation suppose que les populations islamiques se fondent à terme dans la population. Ceci est exclu car cela signifie l’abandon de la loi islamique.(..) L’intégration est possible, mais elle repose sur la reconnaissance, par les lois de la République, de la notion de communauté. L’intégration signifie l’existence d’une communauté obéissant à ses propres lois au sein des groupes de citoyens de la France actuelle. Au-delà du minimum légal que nous avons en commun, le reste est exclu. »

 

Autre renonciation : les auteures citent des politiciens proclamant ouvertement avoir utilisé la loi de 1901 sur les associations pour financer des mosquées, en contradiction totale avec la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’état qui interdit le financement d’associations cultuelles.

Selon son article un « La république garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions  édictées ci après dans l’intérêt de l’ordre public. » et selon son article deux « La République en reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte[6] » (p108).

(p114) « Cette neutralité absolue, garantie par l’absence de reconnaissance et de contribution financière, exclut tout traitement de faveur et donc toute mise en dépendance. L’article deux garantit ainsi l’effectivité du premier, ils sont inséparables. ». 

Or (p115)« l’interprétation du premier article qui a tendance à l’emporter aujourd’hui rend la République responsable des conditions d’exercice des cultes, au point de lui faire un devoir de contribuer au financement de cultes insuffisamment dotés par eux-mêmes. La loi n’est pourtant pas censée garantir aux cultes une égalité de moyens mais une égale liberté d’exercice. »…

 

Elles analysent l’avis et la jurisprudence du Conseil d’Etat sur le voile ou foulard comme une réélaboration du concept de laïcité (p120)(p211).

La loi d’orientation de l’Eduction nationale du 10 juillet 1989, précise que l’Etat garantit le droit à l’éducation et à la formation « dans le respect des principes fondamentaux d’égalité, de liberté et de laïcité », dans son article 1, elle précise que « les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur contribuent à garantir et favoriser l’égalité des hommes et des femmes », dans son article 10 elle précise que  « dans les collèges et lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et d’expression »,

La convention internationale des droits de l’enfant, citée en référence dans l’avis de 1989 ; reconnaît dans son article 13, à l’enfant, la liberté d’expression,  et indique dans son article 14 «  la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. »

L’avis conclut, synthétisant les deux, que «  la liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses  à l’intérieur des établissements scolaires dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes, à l’obligation d’assiduité ». Pour les auteures « La liberté d’expression est devenue liberté d’expression religieuse et même de manifestation religieuse ; le principe de neutralité a disparu, ou plus exactement il ne concerne plus que les programmes et les enseignants. »

 

Les auteures relèvent encore que selon l’article 9 alinéa 2 de la convention européenne des droits de l’homme : «  Lorsque plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes » et que la Cour européenne a conclu dans une des affaires qu’il est difficile de  « concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d’autrui, et de non discrimination que tout enseignant doit transmettre à ses élèves. »

 

A propos de la décision du tribunal administratif de Paris en 1996 (p223), elles soulignent aussi que « plus fondamentalement, [le commissaire du gouvernement] Michel Bouleau, estime que le port du foulard est contraire à  l’ « ordre public » pris comme « l’ensemble des normes qui correspondent aux exigences fondamentales , sociales, politiques et morales que notre société considère comme lui étant consubstancielles ». Ordre public au nom duquel le privilège de masculinité et d’islamité de certains codes de statut personnel est refusé en droit international privé. ».

Pourtant, faisant la synthèse en 1996 de la jurisprudence du conseil d’Etat, le maître des requêtes Rémy Schwartz note « Une des finalités de l’école est de favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes, vous vous refusez à interpréter un signe : c’est sans doute une des limites de votre jurisprudence ».

 

Pendant que les juges français n’osent pas donner de sens au voile, les sites musulmans lui en donnent un, eux ! (p232 « Le hijab est un moyen de communication non verbal représentant l’identité musulmane, une image vaut mieux que 1000 mots, la Ummah doit cultiver une identité distincte »

« Le port du voile agit presque comme une résistance aux valeurs dominantes en Occident qui sont aujourd’hui les valeurs capitalistes » «  Le hijab est devenu une déclaration politique ».

 

Autrement dit, la République a renoncé à des principes et valeurs fondamentales de la République, au profit d’ « us et coutumes » qui sont en opposition complètes avec elles.

 

Crainte et (ou ?) aveuglement : les auteures citent[7] (p11) « nous n’écoutons pas ce que ce disent les extrémistes. Ils passent leur temps à déclarer qu’ils veulent tuer tout le monde mais, en raison d’une forme d’immunité victimaire qui nous les rend sympathiques, nous n’entendons pas. »

Pour nous remplir d’espoir, les auteures nous rappellent (p133) que « la possibilité était donnée, sous conditions, aux « autochtones » algériens, d’acquérir la citoyenneté française par décrêt ou par jugement (cf le sénatus consulte du 14-7-1865, la loi du 14-2-1919, la loi du 18-8-1929) ou de renoncer au statut personnel selon une procédure particulière (art  82 Constitution de 1946, art 75 Constitution de 1958). Mais ces pratiques étaient assimilées à des actes d’apostasie, même par les clercs réformistes ( une fatwa assimilant la naturalisation d’un musulman à un acte d’apostasie a été lancée en 1931 par Abdelhamid Ben Badis, chef de file des théologiens réformistes [8]) . Du côté musulman on établissait donc clairement une incompatiblité absolue entre l’islam et une citoyenneté pleine et entière dans la République. »

Pour achever de nous démoraliser, elles notent à propos du « djihad », [traduit par les uns comme un « effort » et par les autres comme « guerre sainte »] (p309): « En tant que non-musulmanes, il ne nous appartient pas de dire quelle est la « vraie » nature du djihad, mais il va de soi que le profane l’interprétera selon son usage le plus fréquent. Or un jeune musulman qui chercherait à s’instruire sur le sens du djihad trouverait infiniment plus  d’informations sur le djihad compris comme une guerre au nom de Dieu, que sur ledjihad intérieur. ». Suit la présentation affligeante de ce que les internautes peuvent lire sur le thème de l’ « effort » (de guerre …).

On peut tout de même relever cet échange tragi-comique (p203) : « 1998, le cheick Tantaoui, imam d’Al-Azhar [Egypte] : «  les musulmans ont le devoir de se conformer aux lois du pays où ils vivent ; ils ont le choix de s’y plier ou de quitter le pays. » « L’esprit de cette fatwa est à connotation lepeniste » répond Mohamed Telhine Libé 23-4-1998 ».

 

Et de conclure en disant notamment[9]  :

«  C’est beaucoup plus d’une absence de volonté politique que d’une duplicité qui serait inhérente à l’islam que provient notre inaptitude à porter sur lui un regard lucide. Cette absence de volonté n’est que le symptôme d’un mal plus étendu et plus profond (..) : la dépolitisation, qui conduit à sacrifier aux droits individuels, l’idée même d’intérêt général. »

«  L’attitude des pouvoirs publics et des élites vis-à-vis de l’islam est fortement marquée par la dépolitisation. On ne sait plus au nom de quelles raisons supérieures on serait fondé à lui demander légitimement quelques efforts, comme on l’a fait, trop durement parfois, avec l’Eglise catholique. »

« Persuadés que les entorses à nos principes ne sont qu’une façon civilisée de les appliquer, nous refusons de penser les contradictions auxquelles nous conduisent nos renoncements successifs. »

 

Après avoir lu ce livre, on se dit que l’essai[10] d’Alain Finkielkraut, en 1987, « la défaite de la pensée » était terriblement prémonitoire.

Les auteures paraphrasent Adam Mickiewicz « Liberté, il faut t’avoir perdue pour connaître ton nom » (p233), en remplaçant liberté par laïcité.

… Il faudrait peut être s’arrêter avant …

 

 

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[1] Editions Gallimard 2002

[2] parmi les exemples de « pression » on note en parcourant le livre (p215 et p228) : le paiement des femmes pour se voiler selon Henri Corm et Hanifa Cherifi, le coup de poing dans la figure d’un garçon ne pratiquant pas le ramadan (p229) Libération 27-12-1989 …

[3]  Elle peut aussi être refusée pour indignité, c'est-à-dire notamment pour des activités politiques constituant un risque pour la sécurité intérieure ou les relations extérieures de la France (art 21-4 du code civil)

[4] on pourrait ajouter qu’il se trouve presque réduit à la notion d’indignité pour mise en péril de la sécurité intérieure.

[5]  Amar Lasfar, recteur de la mosquée de Lille-Sud, conférence à l’Alliance régionale du Nord,  9-10-1997

[6]  Cependant la République assure depuis 1942 l’entretien de tous les édifices de culte (p116)

[7] Jean Christophe Ruffin Le Figaro 15-9-2001

[8]  Le Monde 19-5-1994

[9]  Pour connaître la conclusion finale lire le livre.

[10]  (de ce « féministophobique »)