Cercle d'Etude de Réformes Féministes

 

Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté

 

 

ALGERIE

 

 

I -            KHALIDA MESSAOUDI

UNE ALGERIENNE DEBOUT[1]

 

Khalida Messaoudi[2] a l’âge de l’Algérie indépendante, elle est professeur de mathématiques. Féministe, fer de lance du combat contre le Code de la Famille, condamnée à mort par le FIS.

 

p25         KM : "Ma famille est une famille maraboutique qui règne sur le village. Je suis donc moi-même une marabout. "

P27         Elisabeth Schemla : "le Coran tu connais donc ? "

Khalida Messaoudi : "Et comment ! J’ai été élevée au Coran, et je l’ai étudié d’un bout à l’autre."

P28         KM : "En matière de religion, mon père a toujours eu deux principes qui m’ont fortement marquée. Un : tout ce qui est ostentatoire est détestable. Il m’a dit une fois, et ça m’a servi pour la vie : « Khalida, quand on est une musulmane, on n’a pas besoin de l’afficher sur son front. Ceux qui font ça il faut s’en méfier, ils ont un problème. » Deux : chacun est responsable de lui seul, et pour lui seul, devant Dieu. "

P30         KM : "Plus tard quand je suis allée au lycée où j’aurais du faire le jeune, - dans l’islam les filles en ont l’obligation dès la puberté – ma grand-mère m’en a dispensée. Elle me racontait, elle qui n’était jamais allée à l’école,que pour Dieu, quand tu fais des études, le ramadan c’est tes études. "

P33         KM : "Pour eux, tous ceux qui ne sont pas intégristes sont athées. C’est le propre d’une vision religieuse totalitaire, et c’est pour cela que, contrairement à une idée assez répandue, l’écrasante majorité des victimes de l’islam politique sont des croyants. Non je ne suis pas athée. En quelque sorte je suis déiste, mais mon Dieu n’a rien à voir avec celui des égorgeurs et violeurs du FIS."

 

P33         KM: "Je mets quiconque au défi de trouver dans le Coran un seul verset qui indique le nombre et l’heure des prières quotidiennes. Foutaise ! Et puis je n’allais quand même pas interrompre les cours plusieurs fois par jour, sortir de classe non ? Jamais je ne l’aurais admis. .. D’autant que l’islam permet de rattraper les prières manquées pour cause de travail. "

P34         KM : "Un jour, je commence à être par la position du fidèle dans la prière musulmane. Va savoir pourquoi.. Sans doute parce que je sui s une femme. Se prosterner la tête contre terre, je trouvais cela humiliant. Je me mets à chercher dans le Coran à quelles directives cela répond : rien. Je me suis dit : « J’ai une belle et grand idée de Dieu. Je ne vois pas pourquoi je vais la rabaisser en adoptant une position d’esclave inventée par des Bédouins esclavagistes de l’Arabie Saoudite. Dieu, chez nous c’est autre chose. » Et j’ai décidé de faire ma prière autrement que les musulmans. Ça ressemblait à du yoga et c’est ainsi que je priais. Une fois, mon père m’a trouvée dans cette position. Je lui ai expliqué mon affaire. Il m’a prévenue : « Tu ne respectes pas la tradition. Tu es même en train d’en sortir. Il faut que tu saches que tu vas avoir des problèmes avec les autres, parce que cette prosternation que tu remets en cause a été adoptée par les musulmans du monde entier. Pour eux, tu n’es pas en train de prier. – Mais pour Dieu ? – Pour Dieu oui, mais tu auras des problèmes."

P38         KM: "Je voudrais te montrer à quel point, en Kabylie, la situation était différente de celle qu’on imagine. Je te disais tout à l’heure que l’islam, chez nous, a été obligé de s’incliner devant le droit coutumier. Eh bien ce droit pouvait être plus obscurantiste que le Coran, lequel, s’il avait été appliqué, aurait marqué un petit progrès. Je vais prendre l’exemple le plus insolent de ce que j’appelle le fondamentalisme berbère : celui de l’héritage.  Dans le droit coutumier kabyle, les femmes n’ont aucune part de l’héritage. "

 

P118       KM : "Chaque matin, dans une de mes classes, je trouvais une croix gammée dessinée au tableau … Je t’ai raconté que j’avais découvert l’existence de l’holocauste lors de mon premier séjour en France en 1979. .. En insistant, j’apprends que c’est un collègue, un prof d’histoire et de géographie, qui leur a expliqué qu’Hitler était un type très bien, parce qu’il avait tué les juifs, qu’il était en passe de tuer aussi tous les Occidentaux mécréants, communistes, francs-maçons etc. … C’était le résultat d’un programme d’histoire consacré pour les trois quarts au Moyen-Orient, et d’un matraquage quasi quotidien à la télévision qui présente le conflit israélo-palestinien sur le mode exclusif antijuif."

 

P120       Khalida Messaoudi : "En 1987 encore, il y a très peu de hidjab dans mes classes, jamais plus de cinq sur une moyenne de quarante deux élèves. A la rentrée suivante, je serai effarée : la moitié des filles le porteront. Je chercherai à dédramatiser en me disant que ce sont des adolescentes en crise d’identification . ..J’écrirai bientôt un article où j’expliquerai que « tous les hidjab en sont pas islamiques. » Je défendrai l’idée que derrière chaque hidjab se cache une femme. Je le pense d’ailleurs toujours. Je continue à croire qu’il y a de multiples raisons de le porter : pour avoir la paix dans la rue ou au travail, par conviction religieuse, par coquetterie, pour cacher sa misère, par acceptation de la pression familiale et sociale. Je parle aussi du hidjab politique, signe d’appartenance à une idéologie totalitaire religieuse… Mais je refuse de voir que ce hidjab là va écraser tous les autres, devenir une machine de guerre, l’ « emblème » du GIA."

Elisabeth Schemla :  "Alors tu n’as rien fait contre ? "

Khalida Messaoudi : "Dans mes classes, non. C’est un aveu qui me coûte, mais je dois être honnête. Comme pour la révolution iranienne, je ne fais pas le lien avec tout ce qui se passe, dans mon propre pays cette fois. J’ai une volonté inconsciente de participer à l’aveuglement volontaire et général. Je n’y vois qu’une explication : je suis alors, comme beaucoup d’enseignants et de militants de ma génération, convaincue que la rationalité finira par triompher. Il me parait impossible qu’il en soit autrement. "

 

P139       KM : "Un tract du FIS : «  Je ne voudrais pas que tu te serves du mot juif « émancipation » pour attaquer les valeurs islamiques de tes ancêtres et plaire aux organisations féministes."

P157       KM : "A la fin de l’année 1993, nous aurons une rencontre de femmes maghrébines, à Tunis, nous dirons : « Il faut faire sauter la monarchie saoudienne ! » Parce que si les Américains veulent réellement la démocratie dans les pays musulmans, il leur suffirait de l’imposer là où il y a l’argent : dans les Etats du golfe, verrou islamique et puissance financière."

P159       KM : "Aucun autre thème n’occupe dans l’idéologie du FIS la place que les femmes y ont. Cette omniprésence, sans abuser d’une comparaison que l’on pourrait trouver trop fréquente ou trop facile, est exactement semblable à celle des juifs dans la rhétorique hitlérienne. A entendre les intégristes, les femmes sont la cause de tous les maux. Mieux : le salut de la Oumma passe par leur soumission aux desiderata des imams. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les féministes, modèles de femmes abhorrés, sont systématiquement traitées de « juives » par les islamistes, moi la première, baptisée par l’un d’entre eux, « la Barbra Streisand ». "

P161       KM : "Les intégristes, comme tout mouvement totalitaire, veulent avoir une mainmise absolue sur la société, et ils ont parfaitement compris que cela passe d’abord par le contrôle de la sexualité des femmes , que facilité le patriarcat méditerranéen. "

 

P195       KM : "Tant que je serai vivante, je témoignerai que ni Amnesty International, ni aucune Ligue des droits de l’homme ne sont venus seulement me demander une copie de ma condamnation à mort…. Pourquoi, à chaque fois que j’essaye de parler de la tragédie que subissent la société civile et les démocrates, m’oppose-t-on le « calvaire » des intégristes comme si j’en étais responsable ? "

p204       KM :"Je m’étonne que la France, républicaine et laïque, tarde à assumer et à soutenir ses alliés naturels : les démocrates qui résistent en Algérie et refusent toute alliance avec le « fascislamisme »."

 

 



[1] Entretiens avec Elisabeth Schemla  Flammarion 1995

[2]  Les citations ci-dessous sont de Khalida Messaoudi, sauf précision contraire.