Cercle d'Etude de Réformes Féministes

 

Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté

 

 

 

CHAHLA CHAFIQ 

LE NOUVEL HOMME ISLAMISTE , LA PRISON POLITIQUE EN IRAN [1]

 

 

Chahla Chafiq est l'auteure de :

- La Femme et le retour de l'islam 1991

- Femmes sous le voile, face à la loi islamique ( avec Fahrad Khosrokhavar 1995)

 

Son livre sur la prison politique décrit "l'enfer sur terre", la "torture sans fin" (au sens propre) .

Un enfer qui montre selon elle la nature totalitaire du régime islamique : " La prison politique représente ainsi une microsociété fabriquée par le pouvoir islamiste qui y déploie sa vision de l'ordre et de l'être humain soumis à cet ordre. On y voit l'islamisme dans son essence idéologique, l'islamisme à visage découvert."

 

Chahla Chafiq expose en détail le système de "repentance": torture des mois durant, ou enfermement dans des "tombes", cages de la taille d'une tombe, des mois, des années durant, lavage de cerveau idéologique, dont le résultat, des femmes "pétrifiées" effrayait parfois même les geoliers.

Sa description rappelle de façon frappante le lavage de cerveau opéré dans les prisons et camps de Mao, afin d'amener le prisonnier à avouer ses fautes et à devenir un bon communiste.

"La moyenne d'âge des prisonniers était de vingt ans et six mois. Les plus jeunes avaient quatorze ans. Je peux dire que la majorité des prisonnières politiques en 1981 avaient de quatorze à vingt-six ans. »

 

 

Concernant la révolution, elle explique :

 

- l'importance du rôle des idées occidentales anti-impérialistes en Iran : "l'influence des courants de pensée des intellectuels «postmodernistes », en vogue depuis les années soixante-dix, où la défaite des idéologies de « progrès » provoque une certaine critique de la modernité, qui pour certains, par la mise en question de la raison instrumentale, conduit au rejet de la Raison. Le développement du « culturalisme », dans le contexte de la négation pure et simple de « l'universel », allié à la dégradation de l'image de l'Occident par l'effet de l'impérialisme et du colonialisme, favorise les stratégies identitaires sociopolitiques chez les intellectuels des pays dominés.

Le champ de l'influence de l'islam politique ne reste pas limité aux personnes de croyance musulmane, mais il s'étend aux laïques et aux courants de gauche de toutes tendances. Dans un ouvrage publié en France, en 1979, année de la révolution, par le Cedetim (Centre d'études anti-impérialistes), le lecteur peut retrouver cette interprétation de l'islam, dominante chez les intellectuels et militants partisans de la liberté et de la justice sociale. Le Cedetim se présente comme un lieu de recherche, d'étude et d'information dont le positionnement politique se fonde sur « la reconnaissance de l'importance de la lutte anti-impérialiste mondiale en tant que forme particulière de la lutte des classes, dans la perspective de la révolution socialiste mondiale  ».

Dans le chapitre consacré au rôle de la religion dans la révolution, des sous-titres tels que « culture, arme du peuple » et « religion, instrument de lutte » introduisent l'analyse suivante: « Idéologie, enjeu et forme de lutte, la religion donne aussi des facilités dans l'organisation et l'action. En effet, la culture prend toute son importance comme foyer de résistance et comme force mobilisatrice surtout sous la répression. Le langage de communication se transforme en langage des signes. Des appels historiques, des journées de deuil, ou de fête, des objets transmettent des messages et remplacent le discours parlé. »

 

- la tactique rhétorique de Khomeiny, qui jouait sur ces thèmes anti-occidentaux, sociaux, égalitaires même pour les femmes, affirmant "dans l'Etat futur, il n'y aura plus de prisonniers politiques", tout en répétant clairement son projet de "république islamique" mais ... sans donner jamais de précisions sur son programme. Khomeiny "affirme constamment la concordance des valeurs islamiques avec les droits démocratique, y compris la liberté d'opinion" : personne ne lui demande d'explications sur cette concordance.

 

 

Concernant les idées des dirigeants iraniens sur le gouvernement et la "démocratie" et la différence entre la "démocratie islamique" et la démocratie ("occidentale")  elle cite : 

 

« Nous voulons qu'il y ait un gouvernement divin conforme au souhait du peuple », affirme Khomeiny; un gouvernement conforme au vote du peuple et à la volonté de Dieu; « et ce qui est conforme à la volonté de Dieu, ajoute-t-il, est conforme au souhait du peuple . »

Autrement dit si le vote du peuple ne peut qu'être conforme à l'ordre divin, que le gouvernement islamique fait respecter,  Chahla Chafiq analyse : " le gouvernement islamique fonde sa légitimité sur la fusion sacrée de la volonté de Dieu et du peuple musulman" " Dans la vision islamiste, la religion est la source de la loi, dictant la conduite tant spirituelle que matérielle de l'Oumma, la communauté des croyants. La conformité de cette conduite ne peut donc être garantie que par l'exercice du pouvoir islamique sur la communauté.'

Pour Nasser Makarem Shirazi, un des penseurs islamistes : « une démocratie théologique » qui n'a rien à voir avec la « démocratie occidentale » : «Les Occidentaux constituent un gouvernement dont le fondement est en apparence le vote des citoyens, mais il n'existe aucune limite ni condition à l'exercice du pouvoir de décision des citoyens. .....Ce système est fondé sur la reconnaissance du vote de la majorité et les décisions sont prises selon le vote des députés élus par la majorité. Donc, si ces derniers votent pour la reconnaissance de l'homosexualité, ça se fera! »

Chahla Chafiq reprend : "Le peuple est appelé à participer activement à la poursuite de la révolution islamique pour vaincre définitivement les traces du taghout et neutraliser les tentatives diaboliques de contre-révolution."

 

"Nous assistons à une fusion entre les lois et les verdicts sacrés aboutissant inévitablement, à une confusion entre la notion de délit et de péché: comme le « droit » et la « loi » relèvent du divin, chaque infraction à la loi devient un « pêché ». Elle est en fait une violation des « droits divins »

"La plus importante menace à l'ordre divin provient des opposants politiques appelés mohareb ba khoda, c'est-à-dire ceux qui sont en guerre contre Dieu."

En lisant Chahla Chafiq, nous comprenons que dans ce système les criminels sont des pêcheurs et les opposants, les instruments du diable. Ce qui conduit à légitimer la répression la plus féroce et à la pratique du lavage de cerveau pour remettre le peuple dans le "droit chemin".

 

Ce système se caractérise donc par la confusion : confusion entre la volonté du peuple et celle de dieu, entre l'action du gouvernement et la volonté de dieu ]

On voit que les islamistes peuvent parfaitement parler de "démocratie " en islam , et même parler de "laïcité" puisqu'en effet, dans l'idéal la confusion entre volonté du peuple et volonté divine se passe d'intermédiation et de gouvernement, il n'y a pas de "théocratie" dans le sens de gouvernement par une caste religieuse.

 

Chahla Chafiq montre que pour Khomeiny, il n'y a pas d'incompatibilité entre islam et modernité par contre il faut fuir l'Occident : " Notre malheur est de chercher les formes occidentales, la justice à l'occidentale, les lois à l'occidentale. » Et il ajoute: « Ne soyez pas si timorés. Nous avons nous-mêmes une loi riche, la loi sacrée. Ceux qui disent que l'on ne peut pas appliquer l'islam dans les temps actuels ne connaissent pas l'islam et ne savent pas de quoi ils parlent. »

 

C'est ainsi que lorsqu' après la révolution, la gauche vient se plaindre à lui des premières exécutions sommaires, réclamant des tribunaux publics, Khomeiny dit : « Nous jugeons ces gens d'après des preuves documentées, mais nous estimons que ces criminels ne doivent même pas être jugés. Ils doivent être tués. Je suis désolé de voir que l'occidentalisme sévit encore parmi nous. »

Chahla Chafiq cite le représentant de l'Iran aux Nations-Unies : " À nos yeux les conventions internationales, notamment la charte des droits de l'homme, ne sont crédibles que dans la mesure de leur compatibilité avec l'islam. » Il termine son propos par cette affirmation: « Enfin, nous devons soit violer les verdicts divins, soit les conventions non religieuses. Et nous avons choisi la seconde voie'. »

 

 

Concernant la guerre et la religion, on apprend, en lisant Chahla Chafiq, que d'après Khomeiny, le pacifisme d'un Jésus,[ le rabbin hippie peace and love ], [ celui qui refusait de lancer la première pierre de lapidation sur une femme ], était une erreur de jeunesse :

 

" Je suis persuadé que si l'on avait laissé au Christ le temps, il se serait conduit envers les kofar [impies, blasphémateurs] de la même façon qu'ont fait les prophètes Moïse et Nouh [Noé] (...). Le prophète possède tout, il possède le sabre, fait la guerre et la paix. La guerre n'est pas son principe. Il fait la guerre pour développer le bien et sauver le peuple. Il établit les hads [les châtiments correspondant aux délits] et les tazirs [corrections] pour délivrer les gens de leurs propres malfaisances. Pour qu'à la fois la personne concernée soit rééduquée et la communauté tranquillisée."

 

 

 

 

Concernant les effets psychologiques et économiques du système :

 

Ce système produit des individus dont la seule joie est de torturer : " Vous avez offensé Dieu ..O Khomeiny donne moi l'ordre de faire couler le sang" crient les gardiens de prison " La majorité d'entre eux étaient des villageois analphabètes. La totale liberté qu'avaient ces agents du Hezbollah de nous torturer était leur récompense pour avoir combattu sur le front."

 

Evidemment ce système dictatoriale produit aussi la corruption : "L'une des plus importantes raisons de la corruption économique en Iran est la concentration du pouvoir économique et politique dans la structure du pouvoir en place." Ainsi que la dégradation de l'économie du pays.

 

 

CHAHLA CHAFIQ[2] : , dans une intervention lors d'un colloque organisé par la CADAC, revient sur la question " des stratégies qui transforment la religion en "identité culturelle" et ouvrent la voie à l'islam politique" :

 

«Ce qui s’est passé dans ces pays dits islamistes est la chose suivante. On assiste au XXe siècle à un renouveau de l’Islam politique car ces pays sont alors dans un processus de modernisation (développement de l’industrie, du capitalisme, des institutions comme l’école, justice etc.). Personne ne pensera que ces institutions sont néfastes, personne ne pensera que l’accès à l’école est mauvais, même si cela se fait dans un système capitaliste. Mais cette modernisation s’est réalisée sans une réelle acceptation de la modernité. C’est important de distinguer modernité et modernisation. Quand je parle de la modernité, je parle de démocratie, de droits de l’homme en tant qu’acteur.

 

Dans ces pays, c’est la modernisation qui a été acceptée par les pouvoirs dictatoriaux mais cela sans accepter la modernité, la citoyenneté et notamment la citoyenneté des femmes. Le résultat est une répression totale des mouvements sociaux et un changement complet de l’image de la modernité. Or, si vous regardez dans la littérature de ces pays, comme l’Iran, vous voyez que les intellectuels de droite ou de gauche sont très positifs par rapport aux apports de l’Occident. L’Occident ne peut pas se réduire à l’impérialisme ou au pouvoir politique du capitalisme. L’Occident est aussi pour ces intellectuels le foyer des lumières, là où la Renaissance a permis un retour à la démocratie et aux Droits de l’Homme.

 

Que ce passe-t-il après ? Les pouvoirs politiques occidentaux ont soutenu les pouvoirs dictatoriaux, y compris en Iran où en 1953 un gouvernement laïc a été renversé par un coup d’Etat américain en collaboration avec les Services Secrets britanniques. Avec la dégradation politique due au système dictatorial, la corruption, le vide démocratique créé par la répression des forces démocratiques et de gauche, c’est dans ce contexte que renaît le projet d’Islam politique, offrant une alternative capable de mobiliser les déshérités.

 

L’Islamisme, terme que j’utilise car il est basé sur l’Islam, s’est fondé sur des arguments anti-occidentaux, anti-corruption, anti-impérialisme ainsi que la chasteté. Les éléments de ce discours étaient présentés comme égalitaires et étaient donc attirants pour les intellectuels qui voyaient dans ce projet une possibilité d’égalitarisme. Par cette haine de l’Occident, qui soutient les pouvoirs dictatoriaux en Iran, l’image de l’Occident se pervertit. On assiste alors à la diabolisation de l’Occident comme étant uniquement un pouvoir impérialiste, niant de la même façon tous les résultats de la modernité. Petit à petit ce changement de l’image de l‘Occident s’opère avec, en parallèle, un retour d’une stratégie identitaire pour laquelle la tradition et la religion deviennent des lieux de refuge.

 

Cette stratégie de crispation identitaire, ce sont les femmes qui payent le prix le plus fort, car, comme l’a dit Nawal Sadawi, les femmes sont considérées comme les gardiennes de la tradition. Ce n’est pas étonnant d’ailleurs que dans ces sociétés, que ce soit en Algérie, en Iran ou en Egypte, les femmes non voilées sont considérées comme occidentalisées, comme représentant le diable. (...) Le voile a pour philosophie de dérober la femme au regard de l’homme, pour garder la chasteté de la femme. Comme l’a dit Nawal, les racines de la religion islamique se trouvent dans une vision patriarcale du monde. Pour garder intact le pouvoir du père, il faut contrôler le corps de la femme, la sexualité de la femme. Le corps de la femme est un lieu de péché car il n’est pas maîtrisable. Pour le maîtriser, il faut la monogamie, il faut le voile etc. (...)Le voile est un statut de la femme. Je ne peux pas accepter que le voile soit comparé à d’autres choses. ( ...)

 

Je pense qu’il y a une différence énorme entre une société qui laisse le choix, même dans un degré limité comme c’est le cas pour la société occidentale qui a elle-même vécu la période de l’inquisition puis a évacué la religion de l’espace public, accédant à la laïcité. La démocratie sans la laïcité n’est pas possible. C’est pourquoi des évolutions ont pu être réalisées en France et non pas en Iran sous la dictature du Shah. Il y avait, en Iran, des réformes de modernisation mais il n’y avait pas la modernité, c’est à dire la démocratie et la laïcité. Et il y a une grande différence entre ces deux situations en ce qui concerne la cause des femmes. Si on regarde la situation de la femme en Iran actuellement, pour moi, elle sert de baromètre pour mesurer la situation politique. Il y a un rapport dialectique entre la situation des femmes et les discours politiques.

 

Pour résumer, le problème actuel dans les pays musulmans est l’absence de laïcité qui ne permet la formation d’un espace citoyen pour que le débat politique puisse s’instaurer et les mouvements politiques se développer. Dans ce contexte, les intellectuels sont également responsables. Je pense, qu’en tant qu’intellectuels de gauche, nous avons fait une grave erreur en Iran en pensant que la question du voile était secondaire. Que la question première était la lutte anti-impérialiste, l’exploitation. Je pense qu’il y a un lien direct entre la lutte contre l’impérialisme et la lutte pour les femmes. Si on oublie cette réflexion, on risque de retomber dans le même piège dans lequel nous sommes tombés lorsque nous avons fait l’alliance avec le leader charismatique du mouvement islamiste parce qu'il était anti-américain, parce qu'il était anti-corruption, parce qu'il disait qu’il était pour la défense des déshérités.

 

Ce qui manquait dans son discours, c’était la liberté et la démocratie. Ces deux notions-là sont très importantes pour le mouvement des femmes qui ne peut pas s’épanouir si on oublie que les droits des femmes font partie des premières revendications politiques. Aucune lutte n’est valable si les droits des femmes ne sont pas intégrés en tout premier lieu. »



[1]  Editions le Felin 2002

[2]   Extrait du site des Pénélopes.  Le Collectif Droits des Femmes (CADAC) a organisé à Paris, le 13 mars 2001, une soirée-débat sur le thème “ Femmes, Islam, fondamentalisme ”. Participaient à ce débat deux intellectuelles féministes d’origine musulmane, l'une égyptienne, Nawal Saadawi et l'autre iranienne, Chahla Chafiq. Les passages en gras sont soulignés par nous.