DECISION DU CONSEIL D’ETAT DANS L’AFFAIRE BOUZIANE
Synthèse
L’ « imam » de Vénissieux, M.Bouziane, avait été expulsé après son interview par « Lyon-mag », dans laquelle il indiquait entre autres que selon lui le coran autorise la polygamie et le fait pour un époux de frapper son épouse.
Le Ministère de l’Intérieur
avait fait expulser l’imam sur la base de l’article 26 de l’ordonnance de
1945, qui prévoyait alors que cette expulsion était possible en cas « de
comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat,
ou liés à des activités à caractère terroriste ».
Un juge des référés avait suspendu la décision du ministre,
estimant que ces faits n’étaient pas établis, bien que le ministre ait
produit des notes des renseignements généraux « donnant des indications précises sur le mouvement
salafiste auquel appartient M. Bouziane et sur les liens qu'entretient cette
mouvance avec des milieux extrémistes » et « comportant des éléments
détaillés et concordants sur les liens entretenus par M. Bouziane, directement
ou indirectement, avec des organisations terroristes, appartenant à des filières
afghanes, yéménites et tchétchènes. »
Le Conseil d’Etat a estimé qu’en refusant de tenir compte de
ces notes, le juge des référés avait dénaturés les faits.
En conséquence, il juge que l’arreté d’expulsion est valable.
Question : comment un juge peut il, devant à la fois, des
propos, un comportement, tels que ceux de l’imam, rendus publics par lui-même,
et des informations récoltées par les renseignements généraux, bref devant
l’ évidence d’un danger, refuser de voir les faits ? …
NB : Entre l’arrêté d’expulsion et la décision du
Conseil d’Etat a été votée une loi qui a ajouté aux motifs permettant
l’expulsion, les « actes
de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à
la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».
Voir textes ci-dessous.
Le
C.E.R.F.
Section du contentieux
N°266948
Séance du 20 septembre
2004 Lecture du 4 octobre 2004
Ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales
c/ M. Bouziane
http://www.conseil-etat.fr/ce/actual/index_ac_lc0409.shtml
Vu le recours sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 avril
et 12 mai 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés
pour le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE
1°)
d'annuler l'article 1er de l'ordonnance en date du 26 avril 2004 par lequel le
juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant en application
de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, a rejeté son recours
tendant à ce qu'il soit mis fin à la suspension de son arrêté du 26 février
2004 ordonnant l'expulsion de M. Bouziane du territoire français, prononcée
par l'ordonnance du juge des référés en date du 23 avril 2004 ;
2°)
statuant comme juge des référés, en application de l'article L. 521-4 du code
de justice administrative, d'accueillir son recours ;
Vu
les autres pièces du dossier ;
Vu
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales ;
Vu
l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 ;
Vu
la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu
le code de justice administrative ;
Après
avoir entendu en séance publique :
-
le rapport de Mlle Maud Vialettes, Maître des Requêtes,
-
les observations de
-
les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'après que la suspension de son arrêté, en date du 26 février
2004, par lequel il ordonnait l'expulsion du territoire français de M. Bouziane,
ressortissant algérien, a été prononcée par une ordonnance du juge des référés
du tribunal administratif de Lyon, le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE
Sans
qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du recours ;
Considérant
qu'à l'appui de sa demande tendant à ce qu'il soit mis fin à la suspension,
prononcée par l'ordonnance du 23 avril 2004, de son arrêté d'expulsion de M.
Bouziane, du 26 février précédent, le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE
Considérant
que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au
titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant
qu'il ressort des notes des services de renseignements produites par
l'administration devant le juge des référés du tribunal administratif et, au
surplus, devant le Conseil d'Etat, qui ont été débattues dans le cadre de
l'instruction écrite contradictoire, que le moyen tiré de ce que l'arrêté
ordonnant l'expulsion de M. Bouziane reposerait sur une appréciation des faits
erronée au regard de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, n'est
plus de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur sa
légalité ; que, dès lors, le ministre est fondé à soutenir que ni ce moyen
retenu par l'ordonnance du juge des référés du 23 avril 2004, ni aucun des
autres moyens invoqués à l'appui de la demande de référé, et tirés de ce
que l'arrêté contesté serait insuffisamment motivé et méconnaîtrait le
droit au respect de la vie familiale normale de M. Bouziane tel que garanti par
l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales, ne peuvent être regardés comme faisant naître un
doute sérieux sur la légalité de l'arrêté du 26 février 2004 ; qu'il y a
lieu, par suite, de mettre fin à la suspension de cet arrêté ;
Considérant,
enfin, qu'il résulte de ce qui précède que la demande présentée par le
conseil de M. Bouziane au titre de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peut qu'être
rejetée ;
D
E C I D E :
--------------
Article
1er : L'article 1er de
l'ordonnance du 26 avril 2004 du juge des référés du tribunal administratif
de Lyon est annulé.
Article
2 : Il est mis fin à la
suspension, ordonnée le 23 avril 2004 par le juge des référés du tribunal
administratif de Lyon, de l'arrêté du MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE
Article
3 : Les conclusions de M.
Bouziane présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du
code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991
sont rejetées.
Article 4 : La présente
décision sera notifiée au MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE
Communiqué de
presse du 4 octobre 2004
Affaire de
" l'imam de Vénissieux " : le Conseil d'Etat lève la suspension de
la mesure d'expulsion prononcée à l'encontre de M. Bouziane.
Par une décision rendue le
4 octobre 2004, le Conseil d'Etat fait droit au pourvoi en cassation du ministre
de l'intérieur et, infirmant la mesure initialement prononcée par le juge des
référés du tribunal administratif de Lyon, met fin à la mesure de suspension
de l'arrêté d'expulsion pris le 26 février 2004 à l'encontre M. Bouziane.
Devant le juge des référés
du tribunal administratif de Lyon, la procédure s'était déroulée en deux
temps.
Par une première ordonnance du
23 avril 2004, le juge des référés avait suspendu les effets de l'arrêté
d'expulsion en raison des doutes qui pesaient selon lui sur le bien-fondé des
motifs avancés par le ministre de l'intérieur pour justifier sa décision.
Le ministre était ensuite
revenu devant le juge des référés pour qu'il mette fin à la mesure du
suspension, comme le permet l'article L. 521-4 du code de justice
administrative, en produisant deux nouvelles " notes blanches " des
services de renseignement généraux, la première donnant des indications sur
le mouvement salafiste auquel appartient M. Bouziane et sur les liens
qu'entretient cette mouvance avec des milieux extrémistes, la seconde
comportant des éléments détaillés et concordants sur les liens entretenus
par M. Bouziane, directement ou indirectement, avec des organisations
terroristes appartenant à des filières afghanes, yéménites et tchétchènes.
Malgré la précision dont faisaient preuve ces deux notes, le juge des référés
n'avait pas été convaincu de la nécessité de lever la suspension de la
mesure d'expulsion et avait donc rejeté la demande du ministre par une seconde
ordonnance du 26 avril 2004.
Le ministre de l'intérieur
s'est pourvu en cassation contre les deux ordonnances et a obtenu gain de cause.
Le Conseil d'Etat a en effet estimé que le juge des référés avait dénaturé
les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant que les deux "
notes blanches " des renseignements généraux n'établissaient pas les
faits allégués à l'encontre de M. Bouziane, qui justifiaient la mesure
d'expulsion ordonnée à son encontre. Le Conseil d'Etat a donc cassé
l'ordonnance du 26 avril 2004 par laquelle le juge des référés avait refusé
de lever la mesure de suspension de l'arrêté d'expulsion. Il a ensuite statué
directement en référé sur cette affaire et mis fin à la suspension, ce qui
redonne plein effet à l'arrêté d'expulsion, lequel peut donc à nouveau être
exécuté par le ministre de l'intérieur.
Le Conseil d'Etat a par
ailleurs prononcé un non-lieu sur le pourvoi que le ministre avait introduit
contre l'ordonnance du 23 avril 2004 par laquelle le juge des référés avait
initialement suspendu l'arrêté d'expulsion. En effet, cette ordonnance a nécessairement
été privée d'effet par la solution retenue par le Conseil d'Etat sur la première
ordonnance. Il en résulte que le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé sur le
bien-fondé de cette première ordonnance.
Ordonnance
n° 45-2658 2
novembre 1945
Article
26
Modifié par Loi 2004-735 2004-07-26 art. 1 JORF 28 juillet 2004
Sauf
en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux
de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant
des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la
haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de
personnes, ne peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion, y compris dans les
hypothèses mentionnées au dernier alinéa de l'article 25 :
1°
L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France
depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ;
2°
L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;
3°
L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui,
ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans soit
avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, soit
avec un ressortissant étranger relevant du 1°, à condition que la communauté
de vie n'ait pas cessé ;
4°
L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui,
ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français
mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer
effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions
prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou
depuis au moins un an ;
5°
L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite
une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des
conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse
effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi.
Les
dispositions prévues aux 3° et 4° ne sont toutefois pas applicables lorsque
les faits à l'origine de la mesure d'expulsion ont été commis à l'encontre
du conjoint ou des enfants de l'étranger.
Sauf
en cas d'urgence absolue, les dispositions de l'article 24 sont applicables aux
étrangers expulsés sur le fondement du présent article.
Ces
mêmes étrangers ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la
frontière en application de l'article 22.
II.
- L'étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l'objet ni d'un arrêté
d'expulsion, ni d'une mesure de reconduite à la frontière prise en application
de l'article 22.