ANALYSE DU RAPPORT DE INSPECTION GENERALE DE L’EDUCATION NATIONALE,

DE JUIN 2004,

SUR LES SIGNES ET MANIFESTATIONS D’APPARTENANCE RELIGIEUSE

DANS LES ETABLISSEMENTS SCOLAIRES

 

 

Avertissement :

Le texte qui suit n’est peut être pas le vrai texte de ce rapport, qui n’est pas pour l’instant publié par l’Education Nationale. Néanmoins son contenu nous a paru suffisamment crédible pour faire l’objet d’une analyse.

 

Contenu du rapport :

 

Il commence par la description de la méthodologie, et précise que les établissements choisis pour l’étude ne sont pas représentatifs de l’ensemble des établissements français : aucune généralisation des situations décrites ici ne doit donc être faite.

 

Il expose d’une part les caractères communs des établissements choisis (ghettoïsation) et leur variété ( urbains et ruraux)

 

Il fournit des indications sur les diverses causes des phénomènes de ghettoisation et de radicalisation religieuse :

- une idéologie de sociologues prônant la non-mixité sociale afin de rassembler les personnes à aider,

- le recours à des « grands-frères » ou l’achat de « paix sociale » par la subvention d’associations religieuses

- la pression sociale dans certains quartiers exercée sur les « Français » ou sur les associations laïques, qui les poussent à fuir ces quartiers

- la surenchère entre groupes religieux

- le fait que dans un contexte où le racisme le plus répandu est le racisme anti-arabe, où seules des identités négatives (immigré, non intégré…) s’attachaient aux enfants d’immigrés, ce soit une identité « positive » (musulman) qui semble proposée aux jeunes par les religieux.

 

Il décrit toute une série de phénomènes d’enfermement des jeunes dans le cadre d’une « nation musulmane » et quelques autres excès religieux de la part d’évangélistes, juifs etc..

-Quelle est ta nationalité ?

-Musulman.

-Mais non, ta nationalité, c’est français.

-C’est pas possible que je sois français puisque je suis musulman !

A lire ce qui est dit de la surveillance des filles, de leur punition à coups de ceintures, du lien entre cette répression et l’islam, de l’éviction des juifs et autres « minorités », il semble que les inspecteurs nous narrent le quotidien de véritables « bourgs islamistes » en France.

 

Il décrit le désarroi de nombres d’enseignants face à ces phénomènes, désarroi qui se manifeste notamment par leur déni, le défaut d’aide de la part de l’Education nationale, et la variété des réactions des enseignants.

 

Les enseignants les plus âgés qui ont vu ces comportements religieux s’accroître progressivement ont expérimenté des méthodes pédagogiques qui leur permettent de répondre à ces pressions, par contre les plus jeunes enseignants sont plus désarmés.

Deux types de réactions sont critiquées par le rapport, celle d’enseignants qui cèdent aux pressions en tenant un discours relativiste ( la théorie de l’évolution serait une théorie parmi d’autres, la laïcité une conviction parmi d’autres), celle d’enseignants qui s’instituent théologiens et « justifient » leurs décisions par … le coran !

 

Le rapport estime que les mesures axées uniquement sur les « signes religieux », même si elles sont nécessaires, risquent de manquer leur objectif si elles ne sont pas accompagnées par d’autres mesures, et notamment risquent de renforcer le sentiment d’injustice vécu par les élèves.

D’une manière générale, il explique que les phénomènes scolaires ne sont qu’un reflet, une part de phénomènes sociaux plus larges et ne peuvent être résolus par l’école isolément.

 

En conclusion, il prône la mixité (sociale, sexuelle), une aide de la part de l’éducation nationale aux professeurs pour les aider à affronter la contestation, et enfin, il donne en exemple l’attitude de professeurs qui savent rester fermes sur les principes démocratiques et laïques, tout en les expliquant aux élèves, et obtiennent par cet ensemble un apaisement des revendications. Il explique que toutes les concessions faites « pour avoir la paix » se soldent par des reculades.

« Il ne faut jamais céder ! » (Rita Thalmann.)

Oui mais encore faut il savoir ce que signifie « céder », ce sur quoi on ne doit pas céder.

 

Le rapport conclut par un appel à la « clarté dans les convictions » …

Serait-ce un poisson d’avril ? Savons « nous » ce que nous voulons transmettre à ces enfants qui sont NOS enfants et pas les-enfants-immigrés-qui-sont-pas-fait-pour-etre-libres ? Quand certain-e-s en sont à se demander si on ne pourrait pas envisager un féminisme islamiste ou si la démocratie est vraiment un concept valable pour tout le monde, et quand d’autres veulent nous faire croire qu’une vraie laïque féministe doit dire oui aux strings et s’allier gaiement avec le marché aux bestiaux des concours de beauté-plume-où-vous-voyez … « Nous » ne sommes pas très clair-e-s…, comment les enseignant-e-s pourraient ils ou elles l’être ?

 

 

ELISSEIEVNA

Février 2005

 

 

Post-Scriptum à l’analyse du rapport Obin :

 

Lu sur un site de défense du voile :

http://www.al-muslimah.com/forum/viewtopic.php?t=3653

Soubhanallah Posté le: Mer Déc 29, 2004

voilà j'aimerais savoir les métiers pour soeurs qui seraient à l'avenir utiles pour qu'enfin nous développions l'Islam et les infrastructures islamiques dans les pays de kufr?
Nafisâh: Posté le Ven Déc 31, 2004

Les métiers dans le médical ou dans le paramédical, dans l'éducation pour enseigner...

Soubhanallah Posté le: Sam Jan 01, 2005

c'est bien ce que je pensais...

 

 

 

Suit Le Rapport ( Sauf Erreur), Souligne Par Nous.

 

 

 

RAPPORT AVEC PASSAGES SOULIGNES PAR NOUS :

Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
Inspection générale de l’éducation nationale Groupe Etablissements et vie scolaire

Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires

Rapport présenté par Jean-Pierre Obin, Juin 2004


SOMMAIRE
Présentation de l’étude
Hypothèses de départ et objet de l’étude
Méthodes de travail
Diversité des situations observées
Permanence de certains éléments

Première partie:
Les quartiers et leurs évolutions
Les évolutions sociales
Les évolutions religieuses
Les régressions de la condition féminine
L’action des municipalités et des associations
Les écoles primaires
L’insertion des établissements scolaires
La déscolarisation

Deuxième partie:
L’établissement et la vie scolaire
Les signes et tenues vestimentaires
La nourriture
Le calendrier et les fêtes
Le prosélytisme
Les refus de la mixité et les violences à l’encontre des filles
L’antisémitisme et le racisme
Les contestations politico-religieuses

Troisième partie:
L ’enseignement et la pédagogie
L’éducation physique et sportive
Les lettres et la philosophie
L’histoire, la géographie et l’éducation civique
Les mathématiques
Les sciences de la vie et de la Terre
Les langues vivantes
Les disciplines artistiques
Les enseignements professionnels
Les sorties scolaires
Quelques réflexions sur les élèves, les professeurs et les personnels d’encadrement

Conclusion et propositions
Des évolutions inquiétantes qui appellent une réponse d’ensemble
Tout faire pour développer la mixité sociale des établissements scolaires
Former et aider les professeurs à répondre aux contestations de l’enseignement
Piloter plus fermement à tous les niveaux
Annexes

Présentation de l’étude

L’idée de cette étude a émergé au printemps de 2003, à un moment où le débat médiatique et politique sur la laïcité ne s’était pas encore cristallisé autour de la question des signes religieux à l’école, et principalement du « voile » porté par certaines élèves de confession musulmane. Divers témoignages en provenance de travailleurs sociaux, d’enseignants, de personnels d’éducation, de personnels de direction nous avaient alertés : un phénomène beaucoup plus large, un mouvement d’une toute autre ampleur semblait affecter notamment la plupart des quartiers populaires, ceux qui sont de plus en plus témoins d’une ségrégation des populations sur la base de leur origine, et qu’on désigne souvent aujourd’hui, par analogie avec les Etats-Unis, comme les « quartiers ghettos ». Parallèlement, une série de revues et d’ouvrages sortaient en librairie qui, d’une manière ou d’une autre, abordaient le même thème, celui de l’évolution de la place du religieux dans la vie sociale et politique, des diverses conceptions de la laïcité, de la dynamique des différentes confessions et notamment de celle de l’islam dans les pays d’immigration1. Certains traitaient même directement des conséquences de cette dynamique sur la vie des classes et des établissements scolaires.2

Hypothèses de départ et objet de l’étude

Nos hypothèses de départ étaient donc que les manifestations d’appartenance religieuse, individuelles et collectives, avaient tendance à se multiplier et à se diversifier, avec une rapidité et une dynamique fortes ; que, dans certains quartiers, elles pouvaient affecter tous les domaines de la vie personnelle, familiale et sociale ; que les jeunes y étaient particulièrement sensibles, voire qu’ils en étaient l’un des principaux vecteurs ; que l’école enfin était impliquée dans ce mouvement d’ensemble et que les formes qu’il y prenait étaient bien plus diverses et complexes qu’une certaine émotion médiatique autour du « voile » pouvait le laisser croire.

La problématique présentée aux cabinets des ministres en fin d’année scolaire 2002 2003 fut acceptée peu après la rentrée dans la forme suivante : « Les interrogations se multiplient sur les conditions de mise en œuvre de la laïcité, notamment dans les établissements scolaires. Sur un des aspects de ce problème, les signes et manifestations d’appartenance religieuse, les ‘‘informations’’ les plus contradictoires circulent, y compris au sein de notre institution. En fait, aucune étude rigoureuse n’est disponible. Il s’agit donc de procéder à un état des lieux objectif de cette question, de sa dynamique et de son évolution, en s’appuyant sur des enquêtes qualitatives opérées par des inspecteurs généraux dans des établissements situés dans un nombre restreint de départements représentatifs de la diversité du pays. » Cette problématique fut accompagnée d’une définition plus précise de notre objet d’observation : « tout ce qui manifeste publiquement (signes, comportements, déclarations, écrits, actions), individuellement ou collectivement, de la part d’élèves, de personnels ou de familles, au sein des établissements scolaires, une appartenance religieuse. » Entre-temps le calendrier politique s’était accéléré : rapport de François Baroin au Premier Ministre3, initiative d’une commission parlementaire présidée par le Président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré4, puis nomination d’une autre commission par le Président de la République, placée sous l’autorité du Médiateur de la République, Bernard Stasi5, enfin mise en chantier d’une loi dès la fin de 2003.6 Chacune de ces initiatives avait son objet propre et son calendrier ; nous n’avons souhaité ni modifier notre problématique ni accélérer nos travaux, par exigence méthodologique interne comme par souci de ne pas interférer avec ces initiatives.

Méthodes de travail

La méthode retenue a cependant été adaptée pour tenir compte de ce calendrier et éviter de « doublonner » avec ces travaux comme avec ceux menés l’année précédente par les inspections générales sur le communautarisme. C’est pourquoi dans un premier temps (octobre à décembre 2003), nous avons organisé quelques entretiens avec plusieurs acteurs de ces initiatives7, en centrant bien évidemment nos interrogations sur la vie des établissements scolaires, des élèves et des classes. Cette étape nous a permis de préciser nos hypothèses relatives à la diversité et à la prégnance des manifestations d’appartenance religieuse, et de confirmer notamment que les signes et tenues vestimentaires ne semblaient constituer que « l’arbre qui cache la forêt », pour reprendre l’expression d’un membre de la commission Stasi. Nous avons également pris connaissance dans cette période du contenu des rapports Debré et Stasi, ainsi que des conclusions qu’en a tirées le Président de la République. Dans un second temps (janvier à mai 2004), nous sommes allés sur le terrain observer quelques dizaines d’établissements scolaires répartis dans une vingtaine de départements : soixante et un collèges, lycées et lycées professionnels publics jugés susceptibles, davantage que d’autres, d’être affectés par des manifestations de la religion. Ces établissements ont été choisis par, ou en concertation avec l’inspecteur d’académie directeur des services départementaux (IA-DSDEN). Ne souhaitant pas aller directement dans les écoles primaires, nous avons à chaque fois demandé à ce dernier de nous préparer une note de synthèse sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans le premier degré. Nous avons parfois eu un entretien avec un ou des inspecteurs de l’éducation nationale responsables de circonscription que l’IA-DSDEN souhaitait nous voir rencontrer8. Il nous est également arrivé d’avoir un entretien avec le recteur, lorsqu’il le souhaitait, ou avec un de ses collaborateurs chargé de suivre cette question. Enfin, dans chaque établissement visité, l’inspecteur général a systématiquement rencontré l’équipe de direction, l’équipe de la vie scolaire, un groupe d’enseignants en général choisis par le chef d’établissement, ainsi que, chaque fois que possible, des habitants, responsables sociaux ou élus du quartier d’implantation de l’établissement, parfois également un groupe de personnels ATOSS9.

Un commentaire méthodologique s’impose ici. Le panel d’établissements visités ne constitue donc en aucun cas un échantillon représentatif des établissements français, ni sur le plan de l’étude ni d’ailleurs sur aucun autre. Tel n’était pas en effet notre choix et tel ne pouvait-il être : d’abord parce que l’inspection générale ne dispose pas des moyens et n’a pas vocation à mener des études quantitatives ; ensuite et surtout parce que les phénomènes scolaires comme les phénomènes sociaux ne naissent et ne se développent pas en général de manière uniforme, ils éclosent le plus souvent sur quelque terrain de prédilection, prospèrent dans quelques « niches », avant de diffuser et de s’étendre parfois à l’ensemble du système, comme on a pu le constater par exemple, depuis une quinzaine d’années, avec la violence en milieu scolaire.

Cette étude ne peut donc prêter à généralisation et à dramatisation excessive : les phénomènes observés l’ont été dans un petit nombre d’établissements. Pour autant, les établissements visités constituent sans doute un panel assez représentatif de cette marge particulièrement active du système éducatif quant à l’objet de notre étude : ce sont le plus souvent des collèges, lycées et lycées professionnels qui recrutent la totalité ou une partie significative de leurs élèves dans des quartiers dont la « ghettoïsation » est largement entamée, voire achevée ; ce qui s’y joue, insistons-y, ne peut donc être généralisé. Quant aux départements choisis, à dominante urbaine pour certains, rurale pour d’autres, ils sont assez représentatifs de la diversité du territoire, tant nous avons pu constater que la relégation spatiale de certaines populations issues de l’immigration n’est pas ou plus l’apanage des banlieues et des agglomérations, mais affecte aussi nombre de bourgs et de petites villes des départements ruraux. Deux grandes tendances opposées se dégagent de nos observations : l’unité et la permanence des formes de manifestation de la religion en milieu scolaire d’une part, la diversité de la prégnance et de l’acuité du phénomène de l’autre. Commençons par cette dernière.


Diversité des situations observées

Plusieurs paramètres peuvent sans doute expliquer cette diversité, cette disparité même des situations observées, entre des établissements présentant pourtant souvent des caractéristiques comparables.

Le premier est l’histoire du quartier et la rapidité de son évolution sociologique. Quoi de commun en effet, par exemple, mis à part les caractéristiques sociales et religieuses des familles, entre ce collège d’un gros bourg rural accueillant les enfants et petits-enfants d’immigrants rifains, hier employés dans le secteur du bâtiment, aujourd’hui ouvriers agricoles et ayant maintenu de forts liens avec le pays natal, et ce collège de centre ville d’une grande agglomération portuaire, soumis sans cesse à de nouvelles arrivées d’élèves migrants de provenances très différentes ?

Un deuxième facteur de diversité est l’implantation des lieux de culte et la nature des associations ou groupes qui les contrôlent. Toujours en guise d’exemple, ici les affiliations anciennes ont été maintenues avec des associations cultuelles traditionnelles et « modérées », ailleurs ces organisations ont été concurrencées ou remplacées par l’action de jeunes ou de nouveaux venus se réclamant de mouvances plus radicales, et libérées des attaches avec les pays d’origine. Ici un lieu de culte unique, ailleurs une multiplicité que les chefs d’établissement ne savent pas toujours identifier de manière précise.10

Le troisième paramètre de cette diversité paraît bien résider dans l’action municipale, ainsi que dans celle de certaines associations laïques, nationales ou locales. Certains quartiers nous ont été décrits, par des chefs d’établissement et des élus, comme « tombés aux mains » des religieux et des associations qu’ils contrôlent. Dans d’autres, le tissu associatif laïque ancien a survécu, au moins en partie, ou s’est reconstitué dans un contexte de résistance aux aspects les plus prégnants de la mainmise religieuse sur la vie des individus ; les associations féminines sont parfois en pointe - non sans risque - dans ce combat.

Enfin, deux facteurs de diversité proviennent de l’activité propre des personnels de l’éducation nationale. Ce sont d’une part la sensibilité, la vigilance et la fermeté de certains chefs d’établissement et d’autre part la capacité de certains responsables académiques à maintenir la mixité sociale et religieuse du recrutement des établissements en dépit de l’évolution de leur quartier d’implantation. Nous développerons bien entendu cet aspect des choses.


Permanence de certains éléments

Au-delà de cette variété réelle, une indéniable unité semble se dégager des nos observations. Plusieurs éléments forts se retrouvent en effet, du nord au sud du pays, dans la plupart des établissements visités.

Le premier est la montée en puissance du phénomène religieux dans les quartiers, notamment chez les jeunes. Le développement des signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les écoles et les établissements scolaires ne semble être que la conséquence, ou plutôt la partie scolairement visible d’une dynamique plus vaste, souvent récente, parfois brutale. Cette partie proprement scolaire - celle qui nous intéresse - n’épargne pas le premier degré, elle touche davantage les collèges que les lycées et concerne en priorité les élèves, en second lieu les familles, et accessoirement des personnels.

Les appartenances religieuses qui se manifestent sous diverses formes à l’intérieur des établissements se revendiquent exceptionnellement du christianisme (mais, d’une part il existe des aumôneries dans certains établissements et, d’autre part, un élève sur sept dans le premier degré et un sur cinq dans le second sont scolarisés dans une école ou un établissement privé catholique), parfois du judaïsme (mais il s’agit en partie d’un mouvement de repli face à l’antisémitisme, et la communauté juive dispose aussi d’établissements privés) et le plus souvent de la religion musulmane. Aucun soupçon d’une quelconque « islamophobie » ne peut être opposé à ce constat, qui s’explique fort bien par ses composantes objectives bien connues : l’arrivée récente, par immigration, des populations musulmanes ; l’exclusion sociale dont une large part est victime du fait du racisme et de la ségrégation devant l’habitat, les loisirs et l’emploi ; la recherche identitaire des jeunes générations ; la vigueur prosélyte de certains courants religieux ; le poids des événements internationaux.

Les manifestations observées en milieu scolaire, individuelles et le plus souvent collectives, revêtent des formes parfois licites (comme la participation au jeûne rituel ou le refus d’aliments non consacrés, ou encore le marquage vestimentaire des parents), parfois illicites (comme l’absentéisme sélectif, ou le refus ou la contestation d’activités et de contenus d’enseignement), ou au caractère parfois plus difficile à apprécier (comme certaines revendications d’adaptation de la vie scolaire ou des contestations politico-religieuses.) Elles n’en font pas moins partie d’une dynamique d’ensemble dont tout l’intérêt, nous a-t-il semblé, pour une institution - l’éducation nationale - qui n’a pas vocation à la myopie, est d’être saisie dans sa globalité. Notre démarche a donc été, dans les établissements, plus « ethnologique » (observer puis décrire) que normative.

D’autant plus - et c’est là le dernier élément général que nous voudrions mentionner dès cette introduction - que les manifestations d’appartenance religieuse semblent être, à tous les niveaux du système, la classe, l’établissement, l’académie, l’objet d’une sorte de refoulement, ou de déni généralisé de la part de beaucoup de personnels et de responsables : chacun commençant généralement par déclarer qu’il n’y avait pas matière à nous déplacer car il n’y avait rien à observer ou ne se passait rien dans sa classe, son établissement ou son secteur de responsabilité. Nos observations ont très souvent contredit ces affirmations liminaires. A l’issue de nos travaux, il nous semble clair que les informations circulent très mal sur cette question à l’intérieur de l’éducation nationale, et qu’en conséquence la conjecture la plus probable est que les observations transcrites dans ce rapport sont sans doute en deçà de la réalité des établissements observés, tant la tendance de nombre de professeurs, de conseillers d’éducation ou de personnels de direction est, en ce domaine, de celer une part de leur réalité professionnelle.


Le plan choisi pour présenter nos observations cherche à tirer les conséquences des considérations ci-dessus : pour tenter de comprendre ce qui se déroule dans la classe, mieux vaut d’abord savoir ce qui se passe dans l’établissement ; et pour comprendre le changement des comportements dans ce dernier mieux vaut commencer par connaître les évolutions du quartier où il est implanté. Nous irons donc du général au particulier en trois parties respectivement consacrées à la vie du quartier (dans laquelle nous incluons les écoles primaires, que nous n’avons pas directement observées), puis à l’établissement et à la vie scolaire, enfin à l’enseignement et à la classe, avant de conclure par quelques remarques et propositions.

PREMIERE PARTIE

Les quartiers et leurs évolutions

Nous présentons la synthèse, dans cette première partie, des entretiens que nous avons souhaité avoir dans chaque établissement visité avec de bons connaisseurs du quartier choisis par le chef d’établissement (le plus souvent des parents, des travailleurs sociaux ou des élus.) Leurs témoignages ont toujours été très éclairants pour saisir et comprendre un climat, des événements, que venaient de nous décrire les professeurs et les autres personnels. Leur intérêt mérite sans aucun doute qu’on consacre une part de ce rapport à leur restitution.

La vie d’un établissement est rarement le simple décalque de celle d’un quartier. S’il nous est arrivé de visiter des établissements gravement perturbés par leur environnement immédiat, cela est resté l’exception. La vie scolaire garde généralement une autonomie, protectrice pour les élèves comme pour les personnels, par rapport à la vie sociale. Mais, à l’inverse, on ne peut comprendre les comportements des élèves sans savoir de quoi est faite leur vie familiale et sociale, et sans comprendre que des faits qui peuvent paraître étranges, graves ou intolérables dans l’établissement ne constituent souvent que l’écho affaibli de ce qu’ils vivent à l’extérieur. Comme le note le sénateur-maire de Neuilly-Plaisance, commune de la Seine-Saint-Denis, dans un récent rapport : « Si tout événement du quartier trouve sa répercussion dans l’enceinte de l’établissement, l’inverse s’avère aussi exact. Un principal soulignait à ce sujet que lorsque les élèves sont intenables, on sait qu’il se passe quelque chose dans le quartier. »11


Les évolutions sociales

Les quartiers que nous ont décrits nos interlocuteurs sont des quartiers de souffrance, et en souffrance. La plupart des habitants n’ont pas le choix d’en partir, et ceux qui l’ont, les jeunes décrochant un diplôme ou un emploi stable notamment, le font en général dès qu’ils le peuvent. En fait, presque toujours la même histoire nous a été racontée : celle de l’homogénéisation progressive, et souvent achevée, d’un ancien quartier ouvrier caractérisé il y a peu encore par une certaine diversité des populations, et sa transformation en une « cité ghetto » dont les « Français » et ceux disposant de revenus stables sont progressivement partis pour s’installer dans des zones plus résidentielles. D’autres épisodes se répètent également à l’identique : l’arrivée de familles de plus en plus précarisées, le regroupement ethnique sur la base de la cité ou d’un immeuble ; l’effondrement du prix du foncier, suivi du désengagement ou de la démission de certains bailleurs, publics et privés ; plus récemment l’arrivée d’une palette de nouvelles nationalités.

La prise de conscience de se retrouver « entre soi » s’est faite souvent au milieu des années quatre-vingt-dix, parfois plus récemment. Le départ des commerces « européens » a contribué à faire fuir les dernières familles « françaises » (en fait souvent d’origine italienne, espagnole, polonaise ou portugaise) qui le pouvaient. Ne sont restées que les plus précaires, souvent des femmes seules et sans revenus, avec des enfants, le « quart monde ». Parfois le départ des anciens habitants a été accéléré par quelques violences bien ciblées ; c’est le cas par exemple de cet ancien quartier expérimental d’une préfecture, vitrine de la mixité sociale des années soixante-dix, où les menaces et les agressions ont eu raison des derniers responsables des anciennes associations qui militaient pour la mixité et l’intégration.

Pour nos interlocuteurs, la ségrégation sociale, ethnique et religieuse dont nous avons mesuré le résultat scolaire n’a donc été qu’en partie « spontanée », c’est-à-dire une conséquence mécanique, non régulée, des évolutions démographiques et économiques. Elle a aussi été le fruit de l’activisme de groupes religieux ou politico-religieux, ainsi que de l’action de certains bailleurs et de certaines municipalités, tous favorables, pour des raisons différentes, à une forme de séparation des populations. Ces politiques se sont également appuyées sur un courant de la sociologie ayant jusqu’à ces dernières années de solides relais chez les travailleurs sociaux, et favorable au « regroupement » des populations précaires.12
Ce que d’autres sociologues appellent aujourd’hui « l’ethnicisation » de la vie des adolescents, c’est-à-dire leur construction identitaire sur la base d’une origine reconstruite ou idéalisée, et dont nous mesurons parfois les effets destructeurs dans la vie scolaire, ne peut donc être conçu comme un phénomène isolé ou spontané, mais constitue l’un des fruits de ces évolutions, de ces politiques et de cette idéologie.


Les évolutions religieuses

Ici encore, les histoires se ressemblent du nord au sud de la France, et nos interlocuteurs décrivent en général une évolution plus brutale que sur le plan social, un « basculement » rapide et récent, l’accomplissement en quelques années de ce qu’ils nomment souvent « l’islamisation » du quartier, impliquant des changements conséquents et visibles des modes de vie et des comportements personnels, familiaux et sociaux. A l’origine de ce mouvement ils évoquent souvent l’influence déterminante de jeunes hommes professant une religion à la fois plus pieuse, moins populaire et plus intellectuelle, souvent diplômés et ayant fait des études supérieures, en France, au Maghreb ou au Moyen-Orient, certains issus de familles du quartier et d’autres arrivés plus récemment : ceux que des professeurs appellent avec une certaine agressivité « les barbus » et que des élèves nomment avec un respect mêlé de crainte « les grands frères ». Il n’est pas exceptionnel qu’on mentionne également d’anciens élèves dont la « conversion » s’est faite au cours d’un séjour en prison et qui bénéficient à ce titre d’une double aura auprès de certains collégiens et lycéens. Une affaire de génération semble-t-il : des jeunes plus pieux et plus radicaux prennent le pouvoir, ou tentent de le prendre, au sein des associations cultuelles, ou encore créent leurs propres associations, bousculant des anciens plus modérés et soupçonnés d’être inféodés aux associations traditionnelles contrôlées par les pouvoirs politiques des pays d’origine.

D’après nos interlocuteurs les plus avertis, ces « grands frères » proposent avec succès aux jeunes issus de l’immigration une identité positive et universaliste « musulmane » se substituant aux identités, souvent perçues comme négatives, « immigrée » de leurs parents et « mal intégrée » de leur génération, victimes l’une et l’autre du stigmate raciste. Celui-ci est parfois rebaptisé « islamophobie », arme philosophiquement contestable lorsqu’elle est tournée vers l’enseignement et les professeurs, mais qui a l’avantage, par ailleurs, de pouvoir « souder » la nouvelle « communauté assiégée ».13 Beaucoup de jeunes découvrent la religion en dehors du milieu familial. « La religion telle qu’ils la vivent ne les rapproche pas de leurs parents, mais les en éloigne », constate dès 1994 Hanifa Chérifi.14 Les familles sont souvent dépassées et angoissées par le comportement religieux de leurs enfants, comme ce père qui nous a confié avoir fait suivre discrètement son fils pour savoir qui l’influençait. Cependant, la fréquentation des lieux de culte reste encore largement liée à l’origine nationale. La vague religieuse n’a donc pas fait disparaître la structuration par pays d’origine, ni les tensions inter ethniques, toujours présentes, elle y a superposé une autre structuration, qui touche en priorité les hommes les plus jeunes et les plus militants autour d’affiliations plus idéologiques que culturelles.

La nature et l’implantation des lieux de culte sont aussi, pour nos interlocuteurs, un élément important de la vie du quartier et de celle des élèves. Les descriptions varient sensiblement d’un lieu à l’autre. Ici une seule mosquée, à l’affiliation connue et à la gestion semble-t-il transparente. Là, à l’inverse, une multitude de lieux de culte, certains quasi-clandestins et hébergés dans les endroits les plus divers, à tel point que dans ce quartier d’une grande ville du sud de la France, un « comité de citoyens » musulmans s’est constitué pour enquêter sur la nature et les responsables de ces lieux.

Peu de professeurs savent qu’une mosquée n’est en général pas seulement un lieu de culte, mais aussi un lieu d’enseignement comportant des salles de classe. Elle est aussi souvent le siège d’associations culturelles et d’action sociale s’adressant à des publics particuliers (femmes, jeunes, enfants…), tendant notamment à encadrer des aspects essentiels de la vie des élèves en offrant des services comme les loisirs et le soutien scolaire. C’est aussi parfois un centre de propagande et de diffusion de divers matériels : livres, brochures, cassettes audio et vidéo, édités en France ou au Moyen-Orient, que des élèves possèdent et diffusent. Connaître l’idéologie qui y est propagée est donc important pour comprendre certains de leurs comportements. Même les chefs d’établissement ne savent pas tous discerner entre les différents courants ou groupes qui animent les lieux de culte fréquentés par les élèves. En conséquence, les personnels se rendent rarement compte que ce qu’ils perçoivent le plus souvent comme un mouvement général et indifférencié de progression du religieux chez leurs élèves peut être le résultat d’une surenchère entre mouvements rivaux dans une perspective de contrôle des populations et d’un quartier.


Les régressions de la condition féminine

C’est sans doute le côté le plus grave, le plus scandaleux et en même temps le plus spectaculaire de l’évolution de certains quartiers. Beaucoup a déjà été dit et écrit sur un sujet dont les médias ont largement traité depuis un an. Un récent rapport ministériel a alerté sur le recul de la pratique sportive chez les jeunes filles de ces quartiers.15 Nous ne développerons donc pas ce sujet. Mais les propos de nos interlocuteurs et le simple fait de déambuler aux abords d’une école ou d’un collège constituent parfois un véritable choc. Partout le contrôle moral et la surveillance des hommes sur les femmes tendent à se renforcer et à prendre des proportions obsessionnelles. Il faut avoir vu ces femmes entièrement couvertes de noir, y compris les mains et les yeux, accompagnées d’un homme, souvent jeune, parfois un pliant à la main pour qu’elles n’aient pas à s’asseoir sur un endroit « impur », que plus personne ne semble remarquer tant elles font partie du paysage, et dont personne ne semble s’offusquer de la condition, pour saisir en un raccourci la formidable régression dont nous sommes les témoins. Encore ces « Belphégor », comme les appellent beaucoup d’acteurs, ne sont-elles pas les plus mal traitées, car il y a toutes ces mères qui ne viennent plus dans les écoles chercher leurs enfants, et qui sont contraintes de déléguer cette tâche à un aîné ou une voisine, car elles sont totalement recluses à leur domicile, parfois depuis des années. Alors que l’on observe de plus en plus souvent des fillettes voilées, les adolescentes font l’objet d’une surveillance rigoureuse, d’ailleurs exercée davantage par les garçons que par les parents. Un frère, même plus jeune, peut être à la fois surveillant et protecteur de ses sœurs. Ne pas avoir de frère peut rendre une jeune fille particulièrement vulnérable. A côté des fréquentations et des comportements, le vêtement est souvent l’objet de prescriptions rigoureuses : comme le maquillage, la jupe et la robe sont interdites, le pantalon est sombre, ample, style « jogging », la tunique doit descendre suffisamment bas pour masquer toute rondeur. Dans telle cité on nous dit que les filles doivent rester le week-end en pyjama afin de ne pouvoir ne serait-ce que sortir au pied de l’immeuble. Dans tel lycée elles enfilent leur manteau avant d’aller au tableau afin de n’éveiller aucune concupiscence. Presque partout la mixité est dénoncée, pourchassée et les lieux mixtes comme les cinémas, les centres sociaux et les équipements sportifs sont interdits. A plusieurs reprises on nous a parlé de la recrudescence des mariages traditionnels, « forcés » ou « arrangés », dès 14 ou 15 ans. Beaucoup de jeunes filles se plaignent de l’ordre moral imposé par les « grands frères », peu osent parler des punitions qui les menacent ou qu’on leur inflige en cas de transgression et qui peuvent revêtir les formes les plus brutales, celles qui émergent parfois à l’occasion d’un fait divers. Les violences à l’encontre des filles ne sont hélas pas nouvelles, ce qui l’est davantage est qu’elles puissent être commises de plus en plus ouvertement au nom de la religion.


L’action des municipalités et des associations

Selon certains de nos interlocuteurs, face à ces évolutions pour le moins inquiétantes, les pouvoirs publics ne semblent pas toujours réagir à la hauteur des enjeux, ou réagissent parfois à contre sens. L’action des municipalités et des travailleurs sociaux semble, à certains endroits, parfois ambiguë. Constatant et déplorant la disparition des filles des activités sportives et des centres sociaux, au lieu de lutter contre le recul de la mixité, il arrive qu’on s’y résigne, quand on ne l’encourage pas en proposant des activités non mixtes ou des horaires réservés. Dès lors, il n’est pas étonnant que la pression religieuse se reporte sur le seul lieu de mixité assumée qui subsiste encore dans ces quartiers : l’établissement scolaire.

Témoins du dynamisme de certains groupes religieux, et de la rivalité entres courants rivaux « modérés » et « radicaux », les collectivités sont naturellement sensibles au poids politique que peuvent représenter les organisations cultuelles et les associations culturelles et sociales qu’elles contrôlent. Mais leur action semble se déployer dans des directions parfois contradictoires. Certains parents attachés à la laïcité, certains chefs d’établissement aussi nous ont avoué quelquefois leur perplexité devant les subventions accordées à telle association d’action culturelle ou de soutien scolaire, ou encore devant les critères de recrutement des « emploi-jeunes ». A l’inverse, d’autres élus soutiennent ou développent l’action d’associations laïques, souvent rattachées à de grandes associations nationales. La difficulté est alors de trouver ou de former des cadres issus du quartier, sans que ceux-ci soient dénoncés, menacés ou mis au ban, comme on nous l’a affirmé à plusieurs reprises. A cet égard, une mention particulière doit être faite des militantes des associations féminines travaillant, dans des conditions souvent difficiles, sur le thème des violences faites aux femmes.

Les écoles primaires

L’école primaire possède un lien étroit avec le quartier d’implantation. Contrairement au collège, les élèves sont des enfants de l’environnement immédiat et les relations sont quotidiennes avec les parents. Les inspecteurs d’académie, après enquête, ne signalent que peu de cas problématiques concernant le comportement des élèves. Il semble en revanche que les tensions avec des parents deviennent plus fréquentes.

Le comportement des élèves semble donc faire rarement problème.16 Néanmoins on signale des refus de la mixité, ceci dès l’école maternelle, de la part de petits garçons. Les cas de fillettes voilées semblent également se développer, de même que l’observance du jeûne (dans un cas dès le cours préparatoire) et le refus de la viande non consacrée à la cantine. Les activités corporelles et artistiques semblent être particulièrement visées : refus de chanter, de danser, de dessiner un visage ; le refus de jouer de la flûte revient à plusieurs reprises sans que l’on sache précisément à quel interdit cela correspond.

Plus souvent ce sont des tensions ou des conflits avec les parents qui nous ont été signalés. La plupart concernent la tenue vestimentaire « religieuse » des mamans. Certains instituteurs semblent considérer que le principe de laïcité vaut pour le territoire de l’école, et voient d’un mauvais œil l’arrivée de mères voilées dans la cour ou au conseil d’école. Le conflit s’envenime dans le cas, de plus en plus fréquent, où la personne voilée n’est plus du tout identifiable. Ainsi, une école a dû organiser un « sas », sans fenêtre, où la directrice peut deux fois par jour reconnaître les mères avant de leur rendre leurs enfants.17 Les pères viennent plus rarement à l’école, mais ce peut être alors l’occasion d’autres types d’incidents comme les refus de serrer la main d’une femme, ou même de lui adresser la parole. On a vu également un père refuser que sa fillette soit laissée dans la classe d’un instituteur (homme) remplaçant l’institutrice.

L’obsession de la pureté est sans limite : à ces élèves d’une école primaire qui avaient institué l’usage exclusif des deux robinets des toilettes, l’un réservé aux « musulmans », l’autre aux « Français », répond comme amplifiée la demande récente d’un responsable local du culte musulman à l’inspecteur d’académie d’un important département urbain, d’instituer des vestiaires séparés dans les salles de sport, car selon lui « un circoncis ne peut se déshabiller à côté d’un impur. »


L’insertion des établissements scolaires

L’insertion réussie d’un collège ou d’un lycée dans son environnement immédiat, les bons rapports entretenus avec le voisinage, la pacification des relations avec la société environnante constituent de manière générale un volet important de la politique d’un établissement. De ce point de vue, les collèges, dont les bassins de recrutement sont plus étroits, ont des responsabilités plus importantes. La tâche n’est pas toujours facile pour les principaux des collèges que nous avons visités. A la limite, on peut observer de véritables établissements forteresses, comme il en existe dans les quartiers déshérités des grandes villes d’Amérique latine, grillagés, hérissés de barbelés, avec sas d’entrée et vidéosurveillance. Ces établissements dépensent beaucoup de temps et d’énergie à se protéger d’un environnement perçu comme excessivement agressif - et sans doute parfois l’est-il vraiment. Les préoccupations majeures du chef d’établissement y sont le contrôle des élèves et le maintien de l’ordre, celles des professeurs leur sécurité et leur mutation : dans l’un d’eux la moyenne d’ancienneté des professeurs est inférieure à trois ans. On se sent désarmé devant de telles situations. Mais la plupart du temps les liens avec le quartier sont loin d’être rompus, et comme souvent c’est la valeur du chef d’établissement qui détermine largement la qualité des relations sociales. On peut citer, par exemple, ces principaux qui se rendent, à titre privé, aux fêtes communautaires et religieuses auxquelles ils sont invités, ou d’autres qui ont su entretenir de solides amitiés avec des « anciens » du quartier, des anciens élèves ou le professeur enseignant la langue et la culture d’origine (ELCO), personnes qui servent efficacement de médiateurs en cas de tensions.

Dans la plupart des cas que nous avons pu observer, l’existence d’un bassin de recrutement large, ne se bornant pas au quartier d’implantation, se révèle un facteur particulièrement favorable à l’insertion de l’établissement. La première raison en est la mixité sociale et religieuse qui en résulte pour les élèves : les modèles de vie adolescente se diversifient et se complexifient ; les relations entre les filles et les garçons peuvent plus difficilement s’exercer sur le mode de la domination et du contrôle, et sont plus apaisées. La seconde raison est de permettre au collège d’échapper au huis clos un peu pesant avec le quartier que l’on rencontre ailleurs, et même d’y introduire un peu de mixité grâce aux élèves qui viennent chaque jour y travailler et y circuler.


La déscolarisation

La plupart des cas de déscolarisation n’ont pas de motif religieux. C’est le handicap, la maladie, le « décrochage », la délinquance ou la marginalité qui les motivent. Cependant nous avons rencontré, dans certains départements visités, quelques petits groupes religieux refusant de scolariser les enfants. Ainsi, aux confins sud-est du Massif Central, un groupe protestant, les ravinistes, ne scolarise les enfants dans le primaire qu’à plusieurs conditions : refus de l’enseignement de l’évolution des espèces, du cinéma, de l’éducation sexuelle, de l’informatique et des cours le samedi. Ces enfants sont déscolarisés en fin de CM2 et confiés à un organisme d’enseignement à distance créé par les adeptes. Plus au nord, des deux côtés de la Saône, un groupe catholique, pratiquant son culte clandestinement et connu sous l’appellation « les Blancs », héritier de l’Eglise réfractaire de la Révolution, ne scolarise pas non plus ses enfants. Enfin, dans la banlieue d’une grande ville de la vallée du Rhône, des familles musulmanes regroupées autour d’un imam refusent également l’école. Par ailleurs, dans un très petit nombre de cas, des élèves filles ont choisi de démissionner de leur établissement à la suite d’un conflit portant sur le voile ou la tenue islamique qu’elles portaient. La plupart n’étaient plus soumises à l’obligation scolaire.


DEUXIEME PARTIE

L’établissement et la vie scolaire

Comme on va le voir ci-dessous, les manifestations d’appartenance religieuse d’élèves, de parents, parfois de personnels – les exemples sont heureusement rares – peuvent marquer les principaux aspects de la vie de ces personnes au sein d’un établissement scolaire, comme la manière de se vêtir, de se nourrir et d’investir le temps. Ces manifestations sont susceptibles d’affecter sérieusement les relations et la vie scolaire, et de se traduire par des dérives préoccupantes, et parfois déstabilisantes, comme le prosélytisme, le refus de la mixité et la violence à l’égard des filles, l’antisémitisme et le racisme, ou les contestations politicoreligieuses. Telles sont donc les entrées que nous avons retenues dans cette seconde partie.


Les signes et tenues vestimentaires

La manifestation d’une appartenance passe souvent, chez les jeunes, par le marquage corporel et vestimentaire, qui est la manière la plus simple, en tout cas la plus immédiatement visible de s’identifier. Elle ne concerne pas que la religion, ou que les jeunes filles, et ne se réduit pas au couvre-chef. On voit ainsi se multiplier chez les élèves le port de vêtements représentant un drapeau national, par exemple algérien, marocain ou israélien, emblèmes également déployés lors de manifestations sportives scolaires. Des élèves juifs arborent, ici ou là, une plaque de l’armée israélienne cousue sur leur vêtement. Ces manifestations vestimentaires ne sont pas faites pour apaiser la vie scolaire mais, bien au contraire, visent le plus souvent à provoquer d’autres élèves, notamment dans les établissements scolarisant des élèves de multiples origines. Ailleurs, elles ont pour but de se démarquer simplement de la France ou de ceux, élèves et professeurs, que l’on nomme « les Français »18. On peut dire la même chose des tenues portant l’effigie d’une personnalité : si la vue de Che Guevara ne semble plus, de nos jours, susciter beaucoup de réactions, il n’en est pas de même évidemment de celle de Saddam Hussein ou de Oussama Ben Laden.

Pour en arriver plus précisément à la religion, peu de cas signalés concernent les confessions chrétiennes : cette jeune fille gitane portant une croix de grande dimension, qu’elle a accepté d’enlever à la première observation, et ces élèves de confession assyrochaldéenne, regroupés dans la banlieue nord parisienne, qui ont accepté de dissimuler sous leurs vêtements la croix et le chapelet qu’ils arboraient. Les situations mettant en jeu des élèves juifs portant la kippa sont un peu plus nombreuses, mais ne semblent pas avoir donné lieu à conflit ou contestation poussée dès lors que le chef d’établissement a demandé le retrait du couvre-chef ; un conflit vif cependant avec un professeur qui a refusé d’enlever sa kippa mais a fini par la dissimuler sous un postiche !

Les cas les plus nombreux concernent des élèves souhaitant affirmer leur appartenance à la religion musulmane. La très grande majorité des établissements que nous avons visités ont connu des tentatives de manifestation vestimentaire d’appartenance à cette religion, la plupart du temps de la part d’élèves filles, mais parfois aussi de garçons s’étant présentés aux portes de l’établissement en tenue dite « islamique » ou encore « afghane ». Pour les filles, la marque d’appartenance ne se borne pas au « foulard » ou au « voile », mais peut aller jusqu’à la tenue « islamique » complète ; dans un établissement deux élèves se sont même présentées en burka. On a dit plus haut combien les pressions, morales et physiques, pour le contrôle du corps et du vêtement des jeunes filles était devenues, pour certains groupes religieux, un élément central de « l’ordre » qu’ils cherchent à faire régner dans certains quartiers. Dès lors, on comprend que les comportements de ces jeunes filles puissent exprimer des sentiments contradictoires, opposant ou mêlant une façon de rentrer dans l’ordre social en intériorisant ses normes et une manière de s’en protéger.

Les réactions des établissements se révèlent très diverses, voire contradictoires d’un lieu à l’autre. L’opposition à la tenue marquant l’appartenance religieuse est quasi unanime dans le premier degré (mais il existe peu de tentatives), importante en collège, plus irrésolue en lycée. Une comptabilité précise faite par une académie dénombre une centaine de foulards ou voiles acceptés dans une quinzaine d’établissements, dont douze lycées. Ce recensement semble d’ailleurs congruent avec l’estimation faite en 2003 par la direction centrale des renseignements généraux évaluant entre 1200 et 2500 le nombre d’élèves voilées.

Nous avons cherché à comprendre la grande hétérogénéité locale et nationale de ces comportements, ainsi que la variété des réponses qu’ils ont trouvées dans les établissements. Il ne semble pas y avoir de lien direct entre le degré d’islamisation d’un quartier et les tentatives de jeunes filles de porter le « voile » à l’école. A plusieurs reprises nous avons pu observer des collèges implantés dans des quartiers largement contrôlés par des organisations religieuses, et qui n’avaient connu aucune ou très peu de tentatives ; à l’opposé beaucoup ont pu avoir lieu dans des quartiers où la mixité sociale et religieuse est préservée. En fait, trois facteurs semblent jouer dans la fréquence de ces manifestations vestimentaires : d’abord l’existence d’une surenchère entre organisations, des groupes minoritaires tentant souvent de s’affirmer par l’affichage d’un plus grand radicalisme ; ensuite la conviction ou la résolution du chef d’établissement (que ces tentatives cherchent souvent à tester), sa capacité d’expliquer la laïcité de l’enseignement aux élèves et aux familles, d’organiser des médiations et de disposer de relais dans le quartier ; enfin le comportement des autorités académiques qui peut fluctuer, selon les époques et les responsables, entre le souci d’éviter tout conflit et surtout toute couverture médiatique, et la volonté de s’opposer aux atteintes à la laïcité.

Les chefs d’établissement ont été les premiers à nous faire part de leur perplexité devant les oscillations des conseils ou des consignes reçus des services académiques. Une première période, caractérisée par de fortes pressions pour éradiquer les « voiles », dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, et qui s’est soldée par de nombreuses exclusions, a en effet été suivie, notamment après certaines annulations par des tribunaux administratifs, de plusieurs années pendant lesquelles principaux et proviseurs ont été, à l’inverse, encouragés à accepter les élèves et à forcer la main à un corps professoral jugé excessivement laïque. Les travaux des commissions Debré et Stasi, l’élaboration d’une loi, les débats qu’ils ont provoqués, ont récemment fait repartir le balancier dans l’autre sens. Dans plus d’un établissement nous avons en tout cas pu constater les dégâts provoqués par cette inconstance, dans les relations entre les personnes et les groupes au sein de la communauté scolaire.

Une autre facette du problème posé par le marquage religieux des tenues vestimentaires est celle de la motivation de ces élèves. Il ne fait guère de doute qu’au niveau de l’école ou du collège ces élèves et/ou leur famille sont généralement sous l’influence de certains groupes ou organisations, et le dialogue montre bien qu’ils n’ont pas toujours réfléchi à l’ensemble des implications et des conséquences de leur attitude. Il n’en est pas toujours ainsi dans les lycées, dans lesquels on observe deux types de situations. Dans un premier cas, comme dans les collèges, la présence d’une organisation est assez évidente : offensive collective (jusqu’à douze élèves arrivant pour la première fois voilées, ensemble le même jour), test des failles ou faiblesses éventuelles de l’institution, tactique de grignotage progressif des compromis éventuellement passés ; ou bien, à l’inverse, abandon immédiat dès qu’on se trouve face à une communauté éducative unie, ferme et résolue. Dans un autre cas les jeunes filles, en général de bonnes ou très bonnes élèves, prennent une décision personnelle à laquelle elles ont bien réfléchi, parfois en opposition avec leurs parents (notamment lorsque ce sont des converties.) Elles expriment par là une forme de rébellion, fréquente à cet âge et pouvant avoir des composantes assez diverses, qui reste en général difficile à traiter pour les éducateurs. Est-ce pour cette raison que la grande majorité des élèves voilées se trouve dans les lycées ? Ou bien parce que ces jeunes filles disposent souvent du soutien de certains de leurs professeurs et de leurs condisciples, prompts à s’enflammer pour la « liberté individuelle » sans trop s’interroger sur la signification du signe ? Ou encore parce qu’elles sont majeures ou proches de la majorité ? L’attitude d’un petit nombre de proviseurs, qui n’ont pas hésité à exprimer publiquement, y compris dans les médias, leur opposition à toute interdiction, voire leur décision de ne pas appliquer une éventuelle loi, n’a pas contribué à apaiser la situation. Du coup, une sorte de consumérisme scolaire s’est développée par endroit autour de la réputation de lycées jugés plus ou moins favorables à la religion musulmane (le « lycée musulman » dit-on de l’un d’eux), certains pouvant alors drainer une « clientèle » et accueillir jusqu’à plusieurs dizaines de jeunes filles voilées, par une sorte de « laxisme attractif » selon l’expression d’un responsable départemental.

On peut espérer de l’application de la loi qu’elle fasse cesser cette confusion et ces rumeurs, et surtout qu’elle mette un terme aux marchandages auxquels certains se sont livrés, et qui n’ont guère contribué à faire comprendre et accepter par les populations issues de l’immigration l’un des principes fondateurs de la République, la laïcité. Certains récits de « discussions » et de compromis sont en effet proprement ahurissants, surtout si l’on sait qu’ils ont pu se dérouler en présence de représentants des autorités académiques : ici on a négocié la couleur du foulard, là sa taille, ici il s’est agi de découvrir le lobe de l’oreille, là de laisser voir une mèche de cheveux, ici on l’a interdit en classe mais pas ailleurs, là ailleurs mais pas en classe ; sans parler de ce lycée où les classes ont été composées et les emplois du temps constitués en séparant les professeurs favorables et défavorables au voile !


La nourriture

A côté du vêtement, le respect de prescriptions alimentaires est, dans plusieurs religions, un autre moyen de manifester sa piété. Dans les établissements scolaires ce signe d’appartenance est évidemment moins efficace que le précédent, car il ne peut être utilisé que par ceux, internes et demi-pensionnaires, qui consomment la nourriture préparée par l’établissement. On sait par ailleurs que le nombre de rationnaires a, depuis quelques années, tendance à diminuer sous l’effet conjugué de la paupérisation de certaines familles, des exigences diététiques et culinaires croissantes des classes moyennes et des nouveaux comportements alimentaires des adolescents - auxquels les prescriptions religieuses viennent donc s’ajouter. Dans ce domaine, les cantines et restaurants scolaires ont donc fait des efforts d’adaptation, depuis de nombreuses années, notamment celui d’offrir systématiquement une alternative à la viande de porc pour les élèves qui le souhaitent.

Mais les cuisiniers et les gestionnaires des établissements se trouvent depuis peu devant une nouvelle difficulté : le refus par un nombre croissant d’élèves de consommer toute viande non abattue selon le rituel religieux. Ce mouvement est apparu il y a peu de temps, mais s’est très vite répandu, souvent sous l’impulsion des garçons les plus jeunes, arrivant en sixième en collège, en seconde en lycée. Il correspond aussi aux changements d’habitudes alimentaires des familles, liés à l’islamisation des commerces de proximité : la viande halal (autorisée) est désormais partout disponible, elle est même la seule en vente dans certains quartiers. Par l’effet de la stigmatisation dont sont rapidement victimes les élèves qui ne se conforment pas aux normes dominantes du groupe de leurs pairs, plus aucun élève ne mange de viande dans certains collèges que nous avons visités. Parallèlement les demandes des familles et des élèves de se voir proposer de la viande halal se multiplient.

Face à cette situation imprévue, les chefs d’établissement et les gestionnaires réagissent de façon différente, outre ceux qui n’ont encore rien modifié à l’organisation antérieure, et qui jettent la viande non consommée. Certains confectionnent quotidiennement un menu végétarien et d’autres proposent systématiquement du poisson. Un proviseur a cru bon aussi d’imposer la viande halal à l’ensemble des rationnaires, provoquant d’ailleurs la démission de son gestionnaire.19 Enfin, dans d’autres établissements on a institué une ségrégation entre « musulmans » et « non-musulmans » en composant des tables distinctes ou en imposant un menu à chaque catégorie : ici par exemple l’agneau est « interdit aux non-musulmans », là les tomates sont « réservées aux musulmans ». Evidemment des incidents peuvent éclater avec des personnels, mais ceux qui se multipliaient avec les élèves ont disparu… Pour les écoles primaires, où le même problème se pose, aucune municipalité à notre connaissance, dans les communes où nous sommes allés, ne semble être pour l’instant entrée dans ces deux dernières logiques.

Dans un collège public d’une grande agglomération, présenté comme « multiconfessionnel » parce qu’un grand nombre d’élèves juifs s’y est ou y a été rassemblé du fait de l’antisémitisme, la surenchère alimentaire entre familles juives et musulmanes (à laquelle quelques familles chrétiennes se sont jointes) a été telle que le conseil d’administration a voté un amendement au règlement intérieur imposant la confection de menus « sans références religieuses », et rappelé la liberté des familles à faire manger leur enfant hors de l’établissement. D’autres incidents plus ponctuels nous ont été signalés, dont la plupart tournent autour de la stigmatisation agressive, par les élèves estimant suivre à la lettre les commandements alimentaires de la religion, de ceux qui ne les suivent qu’imparfaitement.


Le calendrier et les fêtes

Après le respect des prescriptions corporelles - se nourrir, se vêtir - l’inscription de la vie dans une scansion sacrée du temps est aussi un moyen de se distancier du monde profane, de vivre en conformité avec sa foi et, éventuellement, de le manifester publiquement. Il n’est donc pas étonnant que le calendrier et les fêtes soient devenus, dans les établissements scolaires que nous avons visités, une autre source de tensions et parfois de conflits.

Le premier objet de contestation est le calendrier scolaire lui-même, qui intègre les principales fêtes catholiques et ne laisse aucune place aux fêtes et jours fériés d’autres religions : ainsi le samedi pour les juifs, les adventistes et les ravinistes, le vendredi pour les musulmans ne sont pas chômés. De même, les grandes fêtes annuelles juives et musulmanes, pour être chômées par des élèves ou des personnels, doivent faire l’objet d’une demande personnelle et d’une autorisation explicite, malgré leur reconnaissance par les textes officiels. Quant au mois du jeûne rituel (ramadan), moment important de la vie des musulmans, il n’est aucunement pris en compte dans le calendrier scolaire. La première manière de manifester une appartenance religieuse est donc de contester le calendrier ou les fêtes scolaires, ou de s’en affranchir, ce qui est de plus en plus fréquent. La fête de Noël est de ce point de vue la plus contestée par certains élèves et parents. En plus d’un endroit on nous a rapporté la demande d’élèves ou de familles de supprimer « l’arbre de Noël » et la fête scolaire traditionnellement organisée à cette occasion par l’école ou le collège ; ce qui a parfois été obtenu.

Une autre manière de manifester son appartenance religieuse est l’absentéisme sélectif. Faible pour les musulmans le vendredi, il est notablement plus fort pour les juifs et surtout les adventistes le samedi. Ces derniers, qui sont en nombre important dans certaines académies d’outre-mer et communes de la banlieue parisienne, peuvent poser aux établissements des problèmes d’organisation. L’aménagement des emplois du temps doit-il aller jusqu’au regroupement des élèves adventistes dans la même classe comme le pratique un lycée ? On peut en douter. Et doit-on donner satisfaction aux professeurs qui refusent tout service le samedi matin ? Les fêtes religieuses musulmanes, principalement les deux grandes fêtes traditionnelles du Maghreb, la « grande fête » (Aïd-el-kebir) célébrant le sacrifice d’Abraham, et la « petite fête » (Aïd-es-seghir) marquant la fin du carême, sont l’occasion d’un absentéisme de plus en plus massif de la part des élèves, pouvant pour certains se prolonger plusieurs jours en dehors de toute autorisation. Les établissements, parfois presque vides, réagissent ici encore en ordre dispersé : certains ne changent en rien les activités prévues, d’autres les aménagent, d’autres enfin mettent toute activité en sommeil voire ferment en donnant congé aux personnels.

Dans plusieurs cas, des préoccupations religieuses amènent des élèves ou des personnels à vouloir investir une partie de l’espace public d’une dimension sacrée en y pratiquant les prières rituelles. On a donc vu des élèves introduire des tapis de prière et organiser des lieux de culte dans quelque endroit dissimulé, tandis que certains chefs d’établissement ont reçu des revendications de disposer d’un espace ou d’une salle de prière. A signaler notamment ce proviseur ayant autorisé un personnel ATOS à faire ses prières sur son lieu de travail. Reste aussi à préciser le statut de ces chapelles catholiques non désaffectées de leur ancien usage, sises le plus souvent à l’intérieur de lycées prestigieux, et où se dit régulièrement la messe.

Le mois de carême musulman est également une occasion de tension dans beaucoup d’écoles, de collèges et de lycées. Massivement suivie, pratiquée par des enfants de plus en plus jeunes (depuis le cours préparatoire), l’observance du jeûne est manifestement l’objet de surenchères entre organisations religieuses, qui aboutissent à l’émergence puis à la diffusion de prescriptions de plus en plus draconiennes, et de pratiques de plus en plus éprouvantes pour les élèves : ainsi de l’interdiction d’avaler le moindre liquide, y compris sa propre salive, qui entraîne la pollution des sols par les crachats et les refus de la piscine ; ainsi encore de la nécessité en cas de faiblesse ou de maladie de « rattraper » les jours perdus en poursuivant le jeûne après le mois de ramadan. Les professeurs se plaignent évidemment de la grande fatigue de beaucoup d’élèves et les infirmières sont massivement sollicitées pendant cette période. L’une d’elles nous confie que ce qui était encore il y a peu encore une manifestation d’affirmation identitaire et une période de fête, semble devenir de plus en plus, chez beaucoup d’élèves, « un exercice de mortification » où la souffrance semble jouer un rôle central. Ces pratiques expliquent aussi les demandes de rupture de jeûne pendant un cours, auxquelles accèdent ou ne s’opposent pas certains professeurs, ou encore l’envahissement des centres de documentation et d’information utilisés pour se reposer ou dormir pendant la pause méridienne.


Le prosélytisme

Le prosélytisme musulman, le seul dont on nous a parlé, plus que de vraiment convertir, a d’abord pour objet la réislamisation de populations dont la foi est jugée impure et la piété imprégnée de superstition et de paganisme. Les vraies conversions, qui sont pourtant nombreuses, ne constituent en général qu’une retombée de cette action. Les terrains d’action de ce prosélytisme sont les prisons, le voisinage et le milieu scolaire. Il est impulsé principalement par des groupes propageant auprès des populations le plus souvent issues de l’immigration maghrébine, et en priorité des enfants et des adolescents, des conceptions particulièrement radicales de l’islam s’appuyant sur des lectures piétistes et littéralistes du Coran.

Le mois de carême musulman est l’occasion d’un prosélytisme intense au sein des établissements. Dans certains collèges par exemple, il est devenu impossible pour les élèves dont les familles sont originaires de pays dits musulmans de ne pas se conformer au rite, y compris dans le cas où les parents demandent explicitement à l’administration que leur enfant continue de manger à la cantine. En témoignent ces reliefs de repas qui souillent fréquemment les toilettes, ces démissions d’élèves et, plus dramatique, cette tentative de suicide d’un élève soumis aux mauvais traitements de ses condisciples. Sous ce type de pression, ou plus simplement pour se conformer aux normes du groupe, certains élèves d’origine européenne observent aussi le jeûne sans que leur famille en soit forcément informée (on nous a parlé de fausses lettres de parents autorisant l’absence à la demi-pension.) C’est pour certains, nous a-t-on assuré exemples à l’appui, filles et garçons, le début d’une démarche de conversion. Il est clair que les pratiques des établissements scolaires ne permettent pas aujourd’hui de protéger la liberté des choix spirituels des familles pour leurs enfants mineurs. Le seul « dialogue » instauré à l’occasion du mois de ramadan avec les familles est (dans le meilleur des cas) celui d’une fiche financière permettant d’organiser le non-paiement de la demi-pension pour les jours jeûnés ; c’est à cette occasion que se manifestent certaines familles, surprises d’apprendre que leur enfant n’a pas fréquenté la cantine. Mais il est trop tard et l’enfant n’a pas été protégé du prosélytisme.

Les personnels aussi, en particulier s’ils sont d’origine maghrébine, sont de plus en plus souvent interpellés par des élèves sur leur observance du jeûne et parfois, pour les surveillants et assistants d’éducation, mis à l’écart en cas contraire. D’autres, de famille musulmane ou convertis, affichent ostensiblement leur observance. Il arrive aussi que certains personnels encadrent, dans un lieu de culte du quartier, des activités cultuelles, culturelles ou périscolaires destinées à des élèves dont ils ont la charge dans l’établissement. Il semble aussi que dans plus d’un endroit, pour « acheter » la paix sociale ou scolaire, on ait imprudemment recruté quelques « grands frères » au zèle prosélyte notoire, comme « emplois-jeunes » dans des collectivités et des établissements. Ainsi, dans un collège, les élèves trouvés en possession d’un document du Tabligh appelant explicitement au châtiment corporel des femmes répondent qu’il a été distribué par un surveillant. D’une manière moins directe, l’activité religieuse de certains personnels, dont des professeurs, est particulièrement ostensible. Ici on parle de « la mosquée du surveillant X. » Là c’est un professeur qui conduit la prière à la mosquée du quartier. La pratique de « l’entrisme » semble d’ailleurs se développer et certaines fonctions particulièrement intéresser les prosélytes : assistant d’éducation, CPE, instituteur, PLP ; il n’est plus exceptionnel d’observer dans des IUFM des étudiantes dont le foulard, et des étudiants dont la coupe de la barbe sont dénués d’ambiguïté.


Les refus de la mixité et les violences à l’encontre des filles

Partout ces refus et ces violences, on l’a dit plus haut, se développent dans les quartiers « ghettoïsés », au nom de la religion. Ils caractérisent donc d’abord la vie familiale et sociale mais s’infiltrent et se développent dans la vie scolaire, parfois dans l’ignorance ou l’indifférence des personnels, souvent malgré les efforts qu’ils déploient, parfois hélas parce que certains d’entre eux en sont les vecteurs.

Dans beaucoup de collèges visités, le vêtement des filles, ainsi que leurs « mœurs », sont l’objet d’un contrôle général. Ainsi, dans certains établissements les jupes et robes sont « interdites » depuis cinq à un an selon les endroits, la tenue sombre et ample est imposée à toutes. Il est fréquent que les jeunes frères et plus largement les jeunes élèves garçons soient chargés de la surveillance vestimentaire et morale des filles, les plus âgés se chargeant de les punir, le plus souvent à l’extérieur de l’établissement mais pas toujours ; ainsi nous a-t-on signalé plusieurs cas de violences graves perpétrées dans l’enceinte de collèges : gifles, coups de ceinture, « tabassages ». Les activités sportives sont particulièrement surveillées, voire interdites. L’activité la plus sensible à ce contrôle moral, comme on le verra dans la troisième partie de ce rapport, est l’organisation des sorties scolaires et des classes transplantées, auxquelles il arrive aux professeurs de plus en plus souvent de renoncer. Malgré cela, l’établissement constitue pour certaines élèves un lieu relativement protégé par rapport à ce qu’elles vivent à l’extérieur.

Si la surveillance semble se relâcher un peu au niveau du lycée, c’est sans doute parce que beaucoup de jeunes filles sont parvenues à s’affranchir de la tutelle de leurs frères, ou du moins ont passé des compromis familiaux acceptables, et que d’autres ont intégré leur soumission et le manifestent notamment par le port du voile. C’est au lycée que semble se nouer le destin de ces jeunes filles, entre intégration, révolte et résignation.

Dans le second degré d’une manière générale, de nombreux cas nous ont été signalés de professeurs femmes ayant fait l’objet de propos désobligeants ou sexistes de la part d’élèves. Le refus de la part de certains parents d’être reçus par une personne du sexe opposé, ou de la regarder, ou de lui serrer la main, ou de se trouver dans la même pièce qu’elle, ou même de reconnaître sa fonction pour des motifs religieux, est particulièrement mal vécu par les professeurs et les personnels d’éducation et de direction qui en ont été l’objet. Plus grave, ce type de refus à été observé également pendant le carême musulman de la part de personnels hommes vis-à-vis de collègues ou supérieurs hiérarchiques femmes.


L’antisémitisme et le racisme

Des institutions et des médias se sont largement fait l’écho du récent développement de l’antisémitisme dans la vie sociale et dans les établissements scolaires. Nous ne pouvons hélas que confirmer l’ampleur et la gravité d’un phénomène qui prend deux formes principales.

D’une part on observe la banalisation, parfois dès le plus jeune âge, des insultes à caractère antisémite. Le mot « juif » lui-même et son équivalent « feuj » semblent être devenus chez nombre d’enfants et d’adolescents une insulte indifférenciée, pouvant être émise par quiconque à l’endroit de quiconque. Notre sentiment est que cette banalisation ne semble en moyenne que peu émouvoir les personnels et les responsables, qui mettent en avant, pour justifier leur indifférence, le caractère banalisé et non ciblé du propos, ou encore l’existence généralisée d’insultes à caractère raciste ou xénophobe entre élèves, visant par exemple les « arabes » ou les « yougoslaves » : une composante de la « culture jeune » en quelque sorte.

D’autre part les insultes, les menaces, les agressions, bien ciblées cette fois-ci, se multiplient à l’encontre d’élèves juifs ou présumés tels, à l’intérieur comme à l’extérieur des établissements ; elles sont généralement le fait de condisciples d’origine maghrébine. Dans les témoignages que nous avons recueillis, les événements du Proche-Orient ainsi qu’une sourate du Coran sont fréquemment invoqués par les élèves pour légitimer leurs propos et leurs agressions. Ces justifications peuvent aller jusqu’à assumer les persécutions ou l’extermination des Juifs. L’apologie du nazisme et de Hitler n’est pas exceptionnelle : elle apparaît massivement dans d’innombrables graffitis, notamment de croix gammées, et même parfois dans des propos ouvertement tenus à des instituteurs, professeurs et personnels d’éducation. Ces agressions n’épargnent pas des personnels ni d’autres élèves, comme cette collégienne turque nouvellement arrivée en France et devenue le souffre-douleur de sa classe parce que son pays « est un allié d’Israël. » Il est d’ailleurs devenu fréquent, pour les élèves, de demander sa religion à un nouvel élève ou à un nouveau professeur. Nous avons constaté que beaucoup de professeurs ne refusaient pas de répondre à cette question.

Ces agressions, parfois ces persécutions ravivent des souvenirs particulièrement douloureux chez les familles dont les enfants en sont les victimes. Elles ont notamment pour effet, dans certaines grandes agglomérations où l’offre scolaire et les transports en commun le facilitent, le regroupement des élèves d’origine juive, dont la sécurité n’est plus assurée dans nombre d’établissements publics, dans des établissements privés et publics dont l’aspect « communautaire » ou « pluricommunautaire » est de plus en plus marqué. Dans ces collèges et ces lycées, on observe alors souvent, de la part des élèves de famille juive, des manifestations d’appartenance religieuse ou identitaire à rebours. Elles visent notamment les élèves « musulmans » ou « arabes » et sont attisées là aussi par des groupes extrémistes, plus nationalistes et racistes que religieux, comme le Bétar, qui mènent des « expéditions punitives » et diffusent des affiches et des tracts violemment anti-arabes. Plus inquiétant, des professeurs affichent leur judéité et une certaine crispation identitaire comme en témoigne ce chef d’établissement, effaré par l’accueil reçu de certains personnels le félicitant de la nomination « d’un proviseur juif » à la tête de leur lycée. Dans d’autres établissements, comme dans ce collège d’un bourg de la vallée du Rhône, nous avons constaté que la scolarisation d’élèves juifs ne se faisait plus que grâce à sa dissimulation, seul le principal en ayant été informé par les parents et assurant discrétion et vigilance ; mais le patronyme des élèves ne le permet pas toujours. Cette situation existe également s’agissant de personnels.

Quoiqu’il en soit, si le racisme le plus développé dans la société reste le racisme antimaghrébin, ce n’est plus le cas dans les établissements scolaires, où il a été très nettement supplanté par le racisme anti-juif. Il est en effet, sous nos yeux, une stupéfiante et cruelle réalité : en France les enfants juifs - et ils sont les seuls dans ce cas - ne peuvent plus de nos jours être scolarisés dans n’importe quel établissement.20


Les contestations politico-religieuses

Un grand nombre d’élèves d’origine maghrébine, Français voire de parents français, la majorité sans doute dans certains établissements, se vivent comme étrangers à la communauté nationale, opposant à tout propos deux catégories : « les Français » et « nous ». Se revendiquant hier, lorsqu’on les interrogeait, d’une identité « arabe », d’ailleurs problématique pour des maghrébins, ils se revendiquent de plus en plus souvent aujourd’hui d’une identité « musulmane ». Un endoctrinement qui peut commencer dès l’école primaire, comme en témoignent certains instituteurs. Beaucoup de collégiens, interrogés sur leur nationalité, répondent de nos jours « musulmane ». Si on les informe qu’ils sont Français, comme dans ce collège de la banlieue parisienne, ils répliquent que c’est impossible puisqu’ils sont musulmans !

L’identité collective, qui se référait souvent hier chez les élèves à une communauté d’origine, réelle ou imaginaire, et qui avait fait parler à certains sociologues de « l’ethnicisation » des rapports entre les jeunes, semble se transformer de nos jours en un sentiment d’appartenance assez partagé à une « nation musulmane », universelle, distincte et opposée à la nation française. Ses héros sont à la fois les adolescents palestiniens qui affrontent à mains nues les blindés israéliens, et dont les images des corps ensanglantés passent en boucle sur les chaînes satellitaires des pays arabes, et les chefs « djihadistes » responsables des attentats de New York et de Madrid. De nombreux témoignages, comme celui de ce principal du collège d’une sous préfecture d’un département rural, racontant ce car scolaire acclamant Ben Laden en arrivant devant son établissement, semblent montrer que de plus en plus d’élèves vibrent à l’unisson de « la massification du soutien à Al-Qaïda » révélée par les sondages d’opinion dans le monde arabe.21

Il est particulièrement significatif de constater à cet égard que dans la plupart des établissements visités, les instants de recueillement national organisés à la suite de ces événements tragiques ont été contestés ou perturbés de l’intérieur, parfois de l’extérieur, ou bien n’ont pu avoir lieu, ou encore ont été détournés de leur objet officiel par des chefs d’établissement soucieux qu’ils puissent se dérouler dans le calme (par exemple en invitant les élèves à se recueillir sur « tous les morts de toutes les guerres ».) Comme dans la plupart des pays musulmans, Oussama Ben Laden est en train de devenir, chez les jeunes de nos « quartiers d’exil », et donc pour une part notable de nos élèves, qui craint d’ailleurs de moins en moins de l’exprimer, la figure emblématique d’un Islam conquérant, assurant la revanche symbolique des laissés-pour-compte du développement en rejetant en bloc les valeurs de notre civilisation. C’est sans doute là, et de loin, l’aspect de nos observations le plus inquiétant pour l’avenir. Nous y reviendrons en conclusion.

TROISIEME PARTIE

L’enseignement et la pédagogie

On a souvent affirmé que la classe constituait, pour beaucoup d’enseignants, un lieu quasi-privé, d’intimité et aussi d’isolement pédagogiques. Les professeurs confient en effet peu volontiers ce qui s’y passe, surtout lorsqu’il s’agit d’avouer des difficultés ou des revers. C’est également ce que nous avons constaté, la réticence à s’exprimer étant évidemment renforcée par notre sujet, ainsi que par la méthode que nous avions retenue, l’entretien de groupe, de préférence à l’entretien individuel demandant plus de disponibilité que nous n’en avions.

Les groupes de professeurs, après que nous leur avons décrit l’objet de notre visite puis soumis nos questions inductrices, ont suivi des dynamiques diverses : ici crispation protectrice, là coopération et ouverture, ailleurs affrontements internes, ailleurs encore catharsis collective. Au-delà de cette diversité, assez naturelle au demeurant, les informations recueillies ont cependant une forte cohérence, qui n’est pas la moindre de nos surprises dans cette étude et qui dénote la vigueur et la généralité des contestations de nature religieuse dont les enseignements sont désormais l’objet, l’impréparation des enseignants à y répondre, et le peu d’aide qu’ils reçoivent pour y faire face du fait notamment de l’ignorance dans laquelle se trouve l’encadrement. Nous commencerons par faire le point des contestations dont sont l’objet les différentes disciplines et activités avant de développer quelques réflexions plus générales.


L’éducation physique et sportive

L’EPS fait partie des disciplines pour lesquelles les professeurs se plaignent souvent de manifestations ou d’interventions de nature religieuse perturbant leur enseignement. Beaucoup tournent autour de la mixité, ou de la préservation de la « pudeur » des filles. L’absentéisme et le refus de certaines activités sont de plus en plus fréquents, notamment en piscine et en plein air. Une autre source de tensions réside dans le refus d’un nombre croissant d’élèves (la totalité dans certains collèges) de porter les tenues sportives réglementaires. Les professeurs décrivent alors les diverses innovations vestimentaires, parfois étonnantes, dont ils sont les témoins, souvent de la part des filles, mais aussi des garçons, pour dissimuler le plus possible leur corps. Beaucoup d’élèves préfèrent « un zéro » ou une punition plutôt que de pratiquer une activité ou de la pratiquer en tenue réglementaire. Les dispenses se multiplient et l’existence de certificats de complaisance est massive dans certains quartiers. Ces phénomènes explosent dans la période du jeûne. Certains comportements révèlent les conceptions obsessionnelles de la pureté de certains prescripteurs, comme le refus de se baigner dans « l’eau des filles » ou dans celle des « non musulmans. »

Confrontés à ces comportements, des professeurs, individuellement ou collectivement, transigent ou « négocient », acceptant grands ou menus accommodements avec les règlements, notamment pour les filles. D’autres les refusent. Parmi ces derniers, certains enseignants parviennent à maintenir l’intégralité et la mixité des activités physiques et sportives, d’autres se résignent et préfèrent abandonner celles qui sont le plus contestées, plutôt qu’entamer des transactions ; ainsi notamment de la piscine, en particulier pour les filles : « La gym se meurt ! » conclut, abattu, un professeur que nous avons rencontré.

Pourtant l’EPS est sans doute la discipline où les contestations religieuses de l’enseignement sont le moins déniées et où les professeurs semblent les mieux formés à y réagir, notamment parce que ces manifestations sont plus anciennes, qu’elles sont souvent l’objet d’échanges et parfois d’expression collective, et que l’encadrement n’y est pas inattentif.


Les lettres et la philosophie

Les professeurs de ces disciplines rencontrent des difficultés ponctuelles, dont on ne peut pas dire qu’elles sont généralisées bien qu’on les retrouve à l’identique dans la plupart des régions, ce qui atteste une forme minimale d’organisation. Il y a d’abord le refus ou la contestation, assez fréquents, de certaines œuvres et de certains auteurs. Les philosophes des Lumières, surtout Voltaire et Rousseau, et les textes qui soumettent la religion à l’examen de la raison sont particulièrement visés : « Rousseau est contraire à ma religion », explique par exemple à son professeur cet élève d’un lycée professionnel en quittant le cours. Molière et en particulier Le Tartuffe sont également des cibles de choix : refus d’étudier ou de jouer la pièce, boycott ou perturbation d’une représentation. Il y a ensuite les œuvres jugées licencieuses (exemple : Cyrano de Bergerac), « libertines » ou favorables à la liberté de la femme, comme Madame Bovary, ou encore les auteurs dont on pense qu’ils sont étudiés pour promouvoir la religion chrétienne (Chrétien de Troyes…) ou même Satan (témoin ce tract distribué par une mère évangéliste contre l’utilisation par un professeur de français de Harry Potter en sixième.) Tout laisse à penser que dans certains quartiers les élèves sont incités à se méfier de tout ce que les professeurs leur proposent, qui doit d’abord être un objet de suspicion, comme ce qu’ils trouvent à la cantine dans leur assiette ; et qu’ils sont engagés à trier les textes étudiés selon les mêmes catégories religieuses du halal (autorisé) et du haram (interdit).

Il y a enfin la difficulté à enseigner le fait religieux et notamment les textes fondateurs des grandes religions du Livre. Certains élèves (et certaines familles, musulmanes le plus souvent, juives parfois) contestent cette faculté au collège et aux professeurs (« Je vous interdis de parler de Jésus à mon fils », vient dire un père à un professeur.) La plupart des élèves cependant sont très intéressés par ces leçons, du moins celles qui concernent leur religion. Mais là d’autres difficultés surgissent autour du caractère sacré du Livre (nombreux refus que le professeur touche ou lise le Coran, refus de lire soi-même la Bible par exemple) ou du fait de propos jugés impies ou sacrilèges du professeur, parce que simplement distanciés et inspirés par une approche non théologique, mais littéraire, historique ou philosophique des Ecritures. C’est toute la difficulté de cet enseignement dont, pour autant qu’on ait pu nous le dire, il n’est pas sûr qu’elle soit partout surmontée par les professeurs. Plusieurs nous ont dit avoir dû interrompre un cours ou même avoir renoncé à cette partie du programme, pratiquant ainsi une autocensure préventive et pas même toujours consciente. Plus inquiétant, d’autres enseignants, plus nombreux qu’on ne pourrait le croire, adoptent l’ambition, devant ce qu’ils appellent « l’ignorance des élèves de leur propre religion », et sans qu’ils en mesurent forcément la portée, de faire leur éducation religieuse. Ils n’hésitent pas alors à statuer d’une orthodoxie, et à promouvoir une conception théologique jugée compatible avec la modernité et la démocratie, face à des conceptions jugées superstitieuses ou à des lectures « intégristes » des textes sacrés. Une dérive qu’on peut définir comme une théologisation du contenu de cet enseignement.


L’histoire, la géographie et l’éducation civique

L’histoire est l’objet d’une accusation d’ensemble de la part de certains élèves et de ceux qui les influencent : elle serait globalement mensongère et partiale, elle exprimerait une vision « judéo-chrétienne » et déformée du monde. Les professeurs qui dispensent ces enseignements témoignent en effet de nombreuses contestations d’élèves et de réelles difficultés à aborder ou à enseigner certaines parties du programme. De manière générale, tout ce qui a trait à l’histoire du christianisme, du judaïsme, de la Chrétienté ou du peuple juif peut être l’occasion de contestations. Les exemples abondent, plus ou moins surprenants comme le refus d’étudier l’édification des cathédrales, ou d’ouvrir le livre sur un plan d’église byzantine, ou encore d’admettre l’existence de religions préislamiques en Egypte ou l’origine sumérienne de l’écriture. L’histoire sainte est alors à tout propos opposée à l’histoire. Cette contestation devient presque la norme et peut même se radicaliser et se politiser dès qu’on aborde des questions plus sensibles, notamment les croisades, le génocide des Juifs (les propos négationnistes sont fréquents), la guerre d’Algérie, les guerres israélo-arabes et la question palestinienne. En éducation civique la laïcité est également contestée comme antireligieuse.

Les professeurs réagissent souvent de façon individuelle et de manière dispersée à ces difficultés. Les plus aguerris, en général les plus stables et les plus anciens, qui ont vécu d’une manière relativement progressive l’évolution de leurs élèves, ont eu le temps de sélectionner des documents adaptés et de concevoir de nouvelles façons d’aborder les questions qu’ils savent sensibles. Ainsi la saturation d’images violentes et l’indifférence qu’elles suscitent désormais, leur font préférer les témoignages portant sur les camps d’extermination aux images des atrocités nazies. Ils connaissent et préviennent les réactions de leurs élèves et savent concilier un questionnement de leur part avec une conception rigoureuse de la laïcité de leur enseignement. Ce n’est pas le cas de beaucoup de jeunes professeurs, nombreux dans les collèges des quartiers où nous sommes allés, et chez qui le désarroi entraîne deux types de réactions.

Devant l’abondance des contestations et une parole débridée des élèves, qu’ils ne parviennent pas à maîtriser, la réaction la plus répandue des enseignants est sans doute l’autocensure. La peur des élèves, une mauvaise expérience d’une première année d’enseignement, et on décide de ne pas aborder telle question sensible du programme. Cette attitude est sans doute largement sous-estimée, car les intéressés n’en parlent qu’avec réticence ; mais elle ne constitue pas vraiment une surprise. Il n’en est pas de même du second type de réactions, rencontré à plusieurs reprises et qui consiste, devant l’abondance des contestations d’élèves s’appuyant sur le Coran, à recourir au livre sacré pour tenter de légitimer l’enseignement. Ainsi ce professeur qui déclare en toute candeur s’appuyer sur les élèves inscrits à l’école coranique (« mes bons élèves » dit-il), garants de l’orthodoxie musulmane, afin d’invalider les contestations venant d’autres élèves. Le comble est sans doute atteint avec ce professeur enseignant avec le Coran sur son bureau (édition bilingue, car certains élèves n’ont foi qu’en la version arabe, langue qu’il ne lit pas !), et qui y recourt dès que des contestations se manifestent. On peut alors parler d’une véritable théologisation de la pédagogie.


Les mathématiques

La seule difficulté mentionnée par des professeurs de cette discipline, en des endroits fort éloignés, qui dénote la même obsession ou le même endoctrinement, est le refus d’utiliser tout symbole ou de tracer toute figure (angle droit, etc.) ressemblant de près ou de loin à une croix.


Les sciences de la vie et de la Terre

Comme
l’histoire, cette discipline fait l’objet d’une contestation religieuse d’ensemble, au nom d’une conception, le « créationnisme », dont on sait qu’elle a ses partisans dans les trois religions monothéistes, et qui réfute la théorie de l’évolution des espèces au nom d’une lecture littérale de la Bible ou du Coran. Pour ses adeptes, schématiquement, la Genèse est un document historique et Darwin un imposteur. Les documents et les témoignages abondent montrant que les élèves sont la cible de discours convergents de prédicateurs, de ministres du culte ou de « grands frères » affirmant que cet enseignement n’est que mensonge.
Un livre en particulier, écrit par un professeur agrégé de cette discipline, est diffusé notamment auprès des élèves par le Tabligh.22

Une seconde occasion de contestation est fournie par les parties du programme abordant la reproduction, de même que, en marge de cet enseignement, par les séquences d’éducation sexuelle auxquelles les professeurs de SVT participent souvent, à côté d’autres personnels comme les médecins et les infirmières scolaires, et d’intervenants extérieurs. Les raisons invoquées pour s’absenter, refuser l’enseignement ou ne pas participer aux séances d’information sur la sexualité est « l’impudeur » des propos tenus et des images diffusées à cette occasion, ou encore la mixité des cours ou séquences (qui n’est d’ailleurs pas la règle), ou même leur caractère superflu (puisque « les musulmanes restent vierges ».)
Enfin, les travaux pratiques de SVT donnent lieu à des difficultés avec des élèves qui refusent de manipuler du matériel animal, parfois même avec les gants qu’on leur propose. Certains enseignants en dispensent donc ces élèves.

Ici encore, la variété des réactions des professeurs dénote à la fois une détermination sans doute inégale, des expériences différentes et la place, plus ou moins claire ou confuse, où ils situent leur enseignement - et plus largement la science - par rapport aux conceptions religieuses. L’autocensure existe aussi dans cette discipline, elle concerne notamment la reproduction, que des enseignants nous ont avoué ne plus aborder avec les classes difficiles. En revanche, d’autres professeurs nous ont parus solidement assurés face aux tentatives de certains élèves de les entraîner sur le terrain religieux. Ils répondent aux contestataires que la religion n’étant pas leur domaine, ils n’ont rien à en dire, que l’établissement de la vérité scientifique n’est jamais révélée ou imposée, qu’elle est le résultat de la démarche expérimentale et que c’est précisément l’un des objets de l’enseignement des SVT.

Mais combien d’autres enseignants semblent désemparés par l’attitude des élèves et l’opposition dans laquelle ils placent la religion et la science. Combien de jeunes enseignants notamment nous ont déclaré, candidement là encore, promouvoir ou se réfugier dans un relativisme qui leur paraît juste, ou simplement efficace puisqu’il semble satisfaire les élèves, en présentant la science comme une croyance parmi d’autres (« une hypothèse parmi d’autres », nous dit ce professeur), celle de l’école, ou du professeur, face à celle de la religion, ou des élèves ; entre Adam et Darwin, à chacun de choisir en quelque sorte. Cette dérive n’est pas sans rappeler celle qui, par ailleurs, présente la laïcité comme une option spirituelle parmi d’autres.



Les langues vivantes

Les contestations de l’enseignement des langues sont relativement circonscrites, elles concernent essentiellement l’anglais et l’arabe. Les enseignants de la première de ces langues, réputée constituer « le véhicule de l’impérialisme », peuvent être à ce titre l’objet d’une certaine hostilité de la part d’élèves. Les professeurs d’arabe, quant à eux, peuvent être visés par des contestations d’élèves ou de familles, en tant que « concurrents », laïques, de l’enseignement religieux : « Ce n’est pas le bon arabe ! », vient ainsi protester auprès d’un principal ce père d’élève. Beaucoup de professeurs se plaignent aussi de l’usage que font certains élèves de la langue arabe pour intervenir en classe, notamment dans les séquences « sensibles » de l’enseignement, de toute évidence selon eux pour exprimer leur désaccord ou tenir, sans risque d’être compris par le professeur, des propos peu amènes.

L’enseignement des langues et cultures d’origine (ELCO) a été l’objet de remarques contradictoires de la part de certains principaux. On sait que ces enseignements, dispensés par des intervenants choisis et rémunérés par les pays d’origine, sont globalement en régression et s’adressent surtout aux élèves du primaire. On sait également les soupçons, qui pèsent sur certains enseignants, de participer à un endoctrinement politique et/ou religieux. Ces accusations n’ont pas totalement disparu. Mais plusieurs principaux nous ont dit avoir introduit ou conforté cet enseignement dans leur collège pour son rôle jugé utile de contrepoids laïque face à l’endoctrinement politico-religieux des élèves, ou encore apprécier tel enseignant pour sa capacité de médiation avec la population d’un quartier.

Les disciplines artistiques

Les contestations qui affectent les enseignements d'arts plastiques et d’éducation musicale sont les mêmes, dans les collèges, que celles signalées pour les écoles primaires, en particulier les refus de représenter un visage, de jouer de la flûte ou de pratiquer le chant choral.


Les enseignements professionnels

Le seul enseignement qui semble être l’objet de manifestations d’appartenance religieuse est celui de la cuisine, présent en lycée professionnel (hôtellerie-restauration, biotechnologies) et en SEGPA. Des élèves, la totalité parfois, refusent de cuisiner du porc et de manipuler et goûter la viande non consacrée. L’emploi de gants ne résout pas tous les problèmes, puisque certains élèves poussent le zèle religieux jusqu’à refuser de regarder la viande de porc. On ne peut que s’interroger sur les conditions de préparation et de passage par ces élèves de l’examen final du diplôme.

L’autre problème signalé est celui des stages en entreprise. On sait les discriminations à caractère raciste qui visent les élèves noirs et d’origine maghrébine dans plusieurs secteurs professionnels. Des chefs d’entreprise demandent explicitement aujourd’hui l’absence de signes ou de tenues vestimentaires marquant l’appartenance religieuse chez les élèves qu’ils accueillent, ce qui pose un problème supplémentaire aux établissements qui ont accepté des élèves « voilées », parfois en grand nombre.


Les sorties scolaires

Dans beaucoup d’établissements visités, l’organisation des sorties scolaires est devenue un sujet de préoccupation majeure pour les enseignants et les personnels de direction. Dans de très rares cas les obstacles viennent de familles appartenant à des groupes de religion protestante ; mais dans la grande majorité des autres ce sont des familles musulmanes qui sont de plus en plus réticentes à ces initiatives, surtout lorsqu’il s’agit d’autoriser une fille à y participer. Cette réticence se transforme généralement en franche hostilité pour les classes transplantées et dans le cas où la sortie, ou le voyage, comporte une ou des nuitées en famille ou en hôtellerie. Beaucoup de professeurs, voire d’établissements, ont dû abandonner ce type de projets et certains y ont définitivement renoncé devant les contraintes insurmontables que les parents réticents veulent imposer aux organisateurs : non-mixité de l’encadrement et de l’hébergement (même en famille), nourriture conforme aux interdits religieux notamment.

Restent les déplacements dans un environnement proche pouvant être organisés dans la journée. Beaucoup de professeurs se trouvent alors devant un autre type de difficulté tenant à la contestation de l’objet de la visite, musée, lieu de mémoire et surtout édifice religieux. Ce dernier cas est devenu un vrai sujet de préoccupation ou d’inquiétude, en particulier pour les enseignants d’histoire. Un nombre croissant d’élèves de religion musulmane refuse de visiter et d’étudier les œuvres architecturales du patrimoine, cathédrales, églises, monastères, dès lors que ces bâtiments ont ou ont eu une fonction religieuse. Les accompagnateurs se sont trouvés plus d’une fois pris de court devant le refus d’une partie de leurs élèves de pénétrer dans un édifice. Dorénavant avertis, les enseignants réagissent encore une fois en ordre dispersé à ce nouveau comportement collectif des élèves. Très peu semblent lui opposer l’idée que l’inclusion de ces visites à l’enseignement qu’ils dispensent les rend obligatoires, obligation qui garantit l’égalité de traitement des élèves. De même peu arguent de la nature culturelle et non cultuelle des édifices religieux pour l’enseignant et les élèves. Et donc beaucoup transigent, soit en n’emmenant que des élèves volontaires soit en laissant à l’extérieur les élèves ne souhaitant pas entrer, ce qui pose des problèmes de surveillance et de responsabilité. D’autres renoncent à toute visite d’un édifice religieux. Enfin un grand nombre tentent de convaincre les élèves que leur religion ne leur interdit nullement de telles visites. Ils se font alors, souvent textes religieux à l’appui, les interprètes des prescriptions religieuses, ou bien sollicitent l’avis écrit d’une autorité religieuse locale ou nationale, ou même l’invitent à convaincre directement les élèves. Des chefs d’établissement confortent voire prennent l’initiative de ces démarches. La confusion sur le caractère laïque de l’enseignement et de l’action des enseignants, loin d’être dissipée, est alors poussée à son comble.

Quelques réflexions sur les élèves, les professeurs et les personnels d’encadrement

La première réflexion concerne les élèves. La montée en charge, somme toute récente, de leurs contestations religieuses de l’enseignement, le ciblage de beaucoup de ces attaques sur des disciplines et des parties de programmes, de même que sur des auteurs et des œuvres, manifestent sans doute une même sensibilité « identitaire », parfois exacerbée, à certaines questions vives comme la colonisation, l’immigration, le racisme et les événements du Proche-Orient. Mais il serait naïf de croire qu’il ne s’agit là que de réactions en quelque sorte « naturelles » et spontanées. De toute évidence, des organisations religieuses et politicoreligieuses « travaillent » ces élèves, parfois dès l’école primaire, ainsi que leur famille, leur milieu social, leur quartier, et tentent pour certaines de les dresser contre l’école, les professeurs (ces « menteurs ») et l’enseignement dispensé.

Beaucoup de professeurs des établissements visités ont dans ces conditions le sentiment de livrer un « combat contre l’obscurantisme » et pour l’intégration de leurs élèves. Ce combat se mène effectivement, et certains l’assument ; cela leur demande du temps et de l’énergie : un travail de préparation plus minutieux, la prise en considération de la sensibilité des élèves à certains sujets, la prise en compte de leurs interrogations, le réexamen des fondements épistémologiques de leur discipline, la mise au point d’argumentations justes mais aussi simples et compréhensibles sur la laïcité de l’enseignement, etc. Certains regrettent d’ailleurs devoir consacrer ce temps à défendre la laïcité « aux dépens de l’enseignement ». Mais, pour beaucoup d’enseignants, c’est le désarroi et la confusion qui dominent. Souvent mal préparés à affronter ces situations, laissés sans directive ni soutien, des professeurs, les plus jeunes notamment, pour faire face et tout simplement pouvoir continuer à enseigner, transigent avec les principes ou sombrent dans le relativisme. D’autres, croyant bien faire, et pour remédier à ce qu’ils croient être la cause principale du comportement des élèves, leur « analphabétisme religieux » selon l’un d’eux, s’instituent théologiens en intervenant directement dans l’interprétation des prescriptions et des textes religieux ou en sollicitant l’aide d’une autorité religieuse. D’autres enfin, fragilisés, se mettent en retrait en attendant un changement d’affectation.

Les chefs d’établissement sont en général mal informés de ce qui se passe dans les classes, du moins dans ce domaine. Dans tous les cas, la réunion que nous avons provoquée avec les professeurs était la première organisée sur ce thème dans l’établissement ; c’est-à-dire que c’était la première occasion institutionnelle offerte à ces enseignants « de la ligne de front », selon l’expression de l’un d’eux, - pas même de se concerter - mais simplement d’échanger, et au chef d’établissement d’être informé. Beaucoup de principaux et de proviseurs nous ont dit ensuite leur surprise devant les témoignages de leurs professeurs ; certains nous ont écrit pour nous remercier ou nous informer des suites qu’ils comptaient donner à notre passage.

De leur côté, les recteurs et les inspecteurs d’académie sont très inégalement informés des revendications et des contestations religieuses relatives à l’enseignement. Focalisés depuis plusieurs années sur le seul aspect des signes vestimentaires et les conflits de vie scolaire, ils valorisent sans doute excessivement le rôle des chefs d’établissement, sous-estiment en revanche les difficultés des professeurs, dont ils ignorent les manières de réagir et notamment les dérives que nous avons constatées. Quant aux corps d’inspection, ils semblent complètement absents : à la question « Etes-vous aidés sur ces questions par vos inspecteurs ? » la réponse des professeurs a été partout un « non » sonore et sans appel.


Conclusion et propositions

Ce que nous avons observé dans les établissements scolaires implantés dans les quartiers où sont concentrées des populations issues de l’immigration maghrébine, parfois turque, africaine ou comorienne, quartiers de plus en plus homogènes sur le plan social et religieux, n’est manifestement que la partie scolairement visible d’un phénomène bien plus profond, dont l’évolution constitue vraisemblablement l’une des clés de notre avenir. La réalité semble bien en effet être la suivante : pour la première fois dans notre pays, la question religieuse se superpose - au moins en partie - à la question sociale et à la question nationale ; et ce mélange, à lui seul détonnant, entre en outre en résonance avec les affrontements majeurs qui structurent désormais la scène internationale.

Des évolutions inquiétantes qui appellent une réponse d’ensemble

Dans certains quartiers, qui sont loin répétons-le de se cantonner aux banlieues des grandes villes, se sont déjà édifiées des contre-sociétés closes dont les normes sont le plus souvent en fort décalage voire en rupture avec celles de la société moderne et démocratique qui les entoure. Il ne s’agit nullement pour ces populations d’un repli identitaire des plus anciens, mais bien d’une identité de substitution qui se diffuse d’abord parmi les jeunes de la seconde ou troisième génération. Le terreau social sur lequel se développent ces évolutions est bien connu, c’est la ségrégation dont sont victimes ces populations devant l’accès à l’habitat, à l’emploi et aux loisirs, du fait de la xénophobie et du racisme, depuis leur arrivée sur le sol national. L’intériorisation de cette injustice porte toute une jeunesse vers le ressentiment, le repli et parfois la radicalisation. Des organisations, le plus souvent structurées sur le plan international, prospèrent sur ce terreau et assurent à cette nouvelle identité « musulmane » une promotion efficace, dans une surenchère permanente qui donne aux plus radicaux souvent le plus de poids auprès des plus jeunes ou des plus fragiles (parmi ces derniers on peut placer un certain nombre de jeunes convertis.)23 Le projet de ces groupes ouvertement ségrégationnistes et qui dénoncent l’intégration comme une apostasie ou une oppression, va encore plus loin. Il est aussi de rassembler ces populations sur le plan politique en les dissociant de la nation française et en les agrégeant à une vaste « nation musulmane ». Nous avons dit combien ce projet nous semblait déjà bien diffusé et mis en œuvre dans la jeunesse scolarisée, notamment auprès de ces collégiens et lycéens qui refusent, parfois massivement, de s’identifier comme « Français » et ont pris comme héros les partisans de la guerre à outrance contre le monde occidental.

L’école à elle seule ne peut manifestement pas traiter, encore moins résoudre un tel problème ; cette vague de fond la travaille certes, mais elle n’en reçoit que l’écume. D’autant plus qu’avec les ZEP, dont l’un des deux critères de définition a été au départ la proportion de population étrangère vivant dans un quartier, l’éducation nationale a pris en compte de longue date la nécessité d’une action positive. L’intégration sociale, culturelle et politique des populations issues de l’immigration maghrébine, car c’est bien de cela qu’il s’agit, nécessite de toute évidence un effort national d’ensemble, soutenu et ciblé. La plupart des départements ministériels sont concernés par cet effort, de même que les collectivités territoriales, et les citoyens dans leurs attitudes et comportements individuels. L’éducation nationale peut évidemment contribuer de manière importante à une telle politique. C’est dans un tel cadre que devraient s’inscrire les propositions que nous présentons maintenant pour être vraiment efficaces et offensives, capables de « remonter le courant » en quelque sorte, c’est-à-dire de régénérer chez ces jeunes le sentiment d’une appartenance à un ensemble politique capable de transcender leurs autres appartenances légitimes, notamment culturelles et religieuses. Sinon, sans être inutiles, ces mesures n’auraient qu’un objectif limité, défensif, de protection des établissements et du caractère laïque et national de l’enseignement ; ce qui n’est pas négligeable et constitue d’ailleurs l’horizon actuel de la plupart des enseignants et responsables des établissements implantés dans ces quartiers. Toutefois, en l’absence d’une action positive d’ensemble, on peut craindre que les nécessaires mesures de défense de la laïcité soient une nouvelle fois vécues, notamment par ces élèves, comme discriminatoires, et les confortent dans leur sentiment d’injustice.


Tout faire pour développer la mixité sociale dans les établissements scolaires

La mixité, sexuelle, culturelle, sociale, religieuse est d’abord une valeur. Comment accéder à la compréhension mutuelle, au respect de l’autre, à la modération, autant de composantes de l’esprit laïque, si l’on vit strictement entre soi ? Mais c’est aussi un gage d’efficacité. Les établissements qui ont su ou pu préserver la mixité sociale de leur recrutement et éviter la constitution de classes trop homogènes, peuvent le plus souvent surmonter les perturbations liées aux manifestations d’appartenance religieuse, même s’ils sont implantés au cœur d’un quartier en grande difficulté. Bien entendu, l’éducation nationale n’est pas à la source des dynamiques ségrégatives, elle les subit. Mais il lui arrive de les accentuer notamment au travers des décisions prises en matière de sectorisation et de dérogations.

En plusieurs endroits, nous avons rencontré des chefs d’établissement et des inspecteurs d’académie très attentifs aux évolutions sociales et religieuses des secteurs scolaires dont ils ont la charge. Ainsi, certains directeurs des services départementaux n’ont pas hésité à remodeler périodiquement les contours de la sectorisation de certaines zones, ce qui nécessite parfois du courage, pour le moins un effort de conviction auprès des familles et des collectivités. Nous avons pu constater le succès et l’efficacité de ces politiques là où elles ont pu être menées, principalement pour des collèges. Il est évident qu’un effort bien plus important pourrait être fait en ce domaine si une volonté politique nationale venait stimuler et structurer l’action des responsables académiques.


Former et aider les professeurs à répondre aux contestations de leur enseignement

Nous l’avons dit, l’empirisme le plus total préside aux réactions des professeurs, mal préparés à affronter les situations de contestation religieuse de leur enseignement et des activités connexes. Certes, des formations portant sur le thème de la laïcité se sont développées ces dernières années dans les IUFM. Mais elles prennent en général la forme d’un apport de connaissances historiques et/ou philosophiques et sont souvent abstraites. Elles restent surtout très éloignées des situations rencontrées par les jeunes professeurs, qui ne voient pas en quoi savoir comment se sont conclus il y a un siècle les conflits qui ont opposé la République à l’Eglise catholique peut les aider à traiter les problèmes provoqués par les Frères musulmans, le Tabligh ou le Bétar dans leur classe. Il conviendrait donc plutôt de centrer les apports de connaissances, qui ne sont pas inutiles, sur les religions et les groupes qui influencent aujourd’hui les élèves, et d’organiser une formation pratique centrée sur des études de cas réels. Ces recommandations valent également pour la formation continue.

Enfin, les inspecteurs territoriaux devraient être vivement engagés par les autorités académiques et nationales à aller s’intéresser de près aux contestations religieuses des enseignements, à réunir les professeurs et les conseillers d’éducation, et à les aider à y répondre de manière coordonnée et pertinente. Sans doute ne serait-il pas inutile que ces inspecteurs territoriaux, ainsi d’ailleurs que d’autres personnels d’encadrement reçoivent au préalable une formation adéquate leur permettant ensuite de mieux aider les professeurs et les conseillers d’éducation à faire face à certains comportements d’élèves. Les IUFM, les dispositifs académiques de formation continue, les groupes académiques de pilotage de la formation des personnels d’encadrement et l’école supérieure de l’éducation nationale pourraient être mobilisés à cet effet.

Piloter plus fermement à tous les niveaux

Le premier défaut de pilotage, relevé presque partout, est l’absence de circulation de l’information. En matière de manifestations d’appartenance religieuse le tableau est en effet préoccupant : les recteurs et les inspecteurs d’académie ne savent qu’imparfaitement ce qui se passe dans les établissements tandis que les principaux, les proviseurs et les inspecteurs ignorent souvent ce qui se déroule dans les classes ; les professeurs ne sont pas réunis, de même qu’à un autre niveau les personnels d’encadrement. Chacun est en fait livré à ses propres analyses et convictions, ce qui donne d’une classe, d’un établissement et d’un département à l’autre, comme nous l’avons constaté, les meilleurs ou les pires des résultats. Nous avons le plus souvent évoqué les pires dans ce rapport ; parlons pour terminer des meilleurs.

Certains établissements, objectivement parmi les plus exposés, ont su traiter avec une remarquable efficacité les tentatives dont ils ont été l’objet, en en décourageant par là même sans doute bien d’autres. On peut rassembler sans difficulté les éléments de ces réussites, car ils ne sont pas différents de ceux que l’on a pu observer dans d’autres domaines comme la lutte contre la violence : un chef d’établissement possédant une forte personnalité, un important travail collectif en interne et avec l’environnement, une vie culturelle dynamique, une forte réactivité aux événements, un règlement intérieur simple, clair, connu de tous et surtout appliqué ; et, en cas de conflit, une volonté de dialogue et d’explication, mais jamais de transaction sur les principes ni de négociation sur les règles. Ce sont également des établissements où l’on ne tolère pas l’intolérable, où l’indifférence et la pusillanimité ne sont pas de mise lorsqu’il s’agit de menaces, de violences notamment à l’encontre des plus faibles et des filles, de prosélytisme agressif, de racisme ou d’antisémitisme. Dans ces collèges et ces lycées, on a compris que l’une des conditions essentielles pour que l’école retrouve un rôle majeur d’intégration est qu’elle soit intransigeante vis-à-vis de tous ceux qui veulent en faire un lieu de discrimination, de ségrégation, d’opposition et même d’affrontements entre des groupes rivaux crispés de manière indépassable sur des origines ou des croyances « naturalisées ».

Cette clarté dans les convictions, cette unité dans l’action, cette ouverture dans la communication et cette fermeté sur les principes républicains et sur les règles du droit devraient aussi pouvoir se retrouver au niveau académique où trop souvent des chefs d’établissement et des responsables s’expriment et agissent sur ce sujet de façon désordonnée. Trop souvent également s’est exprimée à ce niveau une conception de l’action - on parle ici par antiphrase - fondée sur l’évitement à tout prix des conflits et la crainte de leur médiatisation. Pour trop de responsables, un établissement sans conflits est un établissement sans problèmes. Nos observations tendent plutôt à établir la règle inverse : c’est là où l’on a transigé, où l’on a reculé, « passé des compromis » comme on l’entend dire souvent, que nous avons constaté les dérives les plus graves et les entorses les plus sensibles à la laïcité. On nous a décrit en de nombreux endroits, et nous avons nous-même observé, les conséquences désastreuses pour les établissements scolaires d’une telle stratégie de la paix et du silence à tout prix, face à des adversaires rompus à la tactique et prompts à utiliser toutes les failles, tous les reculs et toutes les hésitations des pouvoirs publics, et pour lesquels un compromis devient vite un droit acquis.

Sur un sujet aussi difficile, et aussi grave puisqu’il concerne la cohésion nationale et la concorde civile, soulignons qu’il est chez les responsables deux qualités qui permettent beaucoup, et qu’on devrait davantage rechercher, développer et promouvoir à tous les niveaux. Ce sont la lucidité et le courage.